Le génie de l’Orthodoxie
Содержание
Avant-propos Préface Chapitre I. La création comme révélation Chapitre II. La foi chrétienne comme accomplissement А – La Révélation biblique confirmation et accomplissement de la Révélation cosmique B – Convergence et distinction des deux Révélations C – L’œuvre du verbe de Dieu et de l’Esprit Saint dans le déroulement de la Révélation divine Chapitre III. Le Christ et l’Esprit Saint au service de la Révélation dans le mystère de l’Église A – Les modes de transmission de la Révélation évangélique 1) L’Écriture et son lien avec l’Église par la Tradition 2) La Tradition et son lien avec l’Église et l’Écriture B – L’Église, pour préserver et faire fructifier la Révélation 1) Pour préserver la Révélation 2) Les dogmes comme expression doctrinale du plan du salut 3) La théologie, service ecclésial d’explication et d’approfondissement des dogmes, et renouvellement diaconal de l’Eglise
Avant-propos
A l’occasion de la parution du premier fascicule de la Dogmatique du Père Dumitru Staniloaë, il me paraît indispensable de présenter brièvement le Centre orthodoxe du Patriarcat de Constantinople, le Patriarcat œcuménique, qui patronne cette publication.
C’est à l’initiative du Patriarche Athénagoras que le Centre a été fondé à Chambésy, près de Genève, en 1966. Son but? constituer une fenêtre de l’Orient orthodoxe sur L'Occident et, symétriquement, une fenêtre de l’Occident sur l’Orient orthodoxe. Par là favoriser la prise de conscience des richesses de la Tradition orthodoxe, à la fois pour faciliter le rapprochement conciliaire des Églises orthodoxes locales entre elles, et pour situer le dialogue œcuménique dans la perspective non d’accommodements de surface mais d’un approfondissement spirituel décisif.
Depuis 1966, le Centre est ainsi devenu un lieu important de rencontre entre confessions chrétiennes; en font foi les actes des colloques et séminaires publiés dans la collection Les études théologiques de Chambésy (Église locale et Église universelle, Signification et actualité du IIe concile œcuménique, Luther et la Réforme allemande dans une perspective œcuménique, La théologie dans l’Église et dans le monde, Les dialogues théologiques hier et aujourd’hui,..); en témoignent aussi une série d'autres publications, tel le bulletin bimensuel d'information Episkepsis ainsi que de nombreuses études du directeur du Centre publiées dans diverses revues théologiques occidentales. Cette importance du Centre a été illustrée par la visite de tous les chefs des Églises orthodoxes ainsi que celles de plusieurs primats d'autres Églises chrétiennes dont S.S. le pape Jean-Paul II.
Simultanément, le Centre abrite le secrétariat pour la préparation d'un concile de l’Église orthodoxe, secrétariat dont je suis responsable et dont nous tentons de faire, en attendant que l’histoire permette la tenue du concile, le moteur de la conciliarité concrète, vécue, de notre Église. C’est dans cet esprit qúest publiée la revue Synodica, qui diffuse les documents de base concernant le futur concile.
Aujourd'hui, c’est une joie et un honneur pour moi que de faciliter la publication de ce Génie de l’Orthodoxie. Le Père Dumitru Staniloaë appartient à une grande Église, l’Église roumaine, à laquelle sa situation de carrefour – entre l’Occident et l’Orient de l’Europe, entre le monde byzantin et le monde slave – assure une vocation d’universalité, en convergence étroite avec la diaconie du Patriarcat œcuménique. Le Père Dumitru Staniloaë est certainement, à l’heure actuelle, un des tout premiers théologiens et spirituels (les deux termes, dans l’Orthodoxie, sont indissociables) du monde chrétien. Il a été réalisé une œuvre immense, dont les deux piliers sont la monumentale Philocalie roumaine et la Dogmatique. Il importe que ces œuvres majeures soient connues en Occident. Notre époque, où souvent se pose douloureusement le problème de l’identité chrétienne, a été marquée dans l’Église orthodoxe par de puissantes synthèses, issues, pour une grande part, de la redécouverte de la Tradition patristique et byzantine. La grandeur du Père Dumitru Staniloaë est de transcrire dans le contexte actuel non la lettre mais l’esprit des Pères, et de montrer ainsi le caractère créateur de la Tradition.
Toute l’action de notre Centre n’a pas d’autre inspiration. C’était donc un devoir pour nous de soutenir cette publication, en souhaitant vivement qu’elle se poursuive, et notamment que la christologie élaborée dans sa Dogmatique par le Père Dumitru puisse bientôt paraître en français. L’effort est pan-orthodoxe, puisque le Centre n’aurait pu l’entreprendre sans l’aide d’un de ses principaux bienfaiteurs, qui lui-mème relève du Patriarcat d’Antioche, M. Atef Danial. Je tenais à le remercier ici, comme je remercie la collection «Théophanie» pour son effort d’être elle aussi, au cœur de l’Occident, une fenêtre ouverte sur l’Orient orthodoxe.
le Métropolite Damaskinos de Suisse,
Directeur du Centre orthodoxe
du Patriarcat œcuménique
Préface1
Roumain, le Père Dumitru Staniloaë appartient à un peuple qui sans cesse a dû réaliser un difficile équilibre entre son espace propre, «mioritique2», et sa situation, tragique et féconde, de carrefour: entre l’Orient et l’Occident chrétiens, l’Orthodoxie et la latinité, le monde grec et le monde slave... Le Père Dumitru a bien mis en valeur, notamment dans le huitième volume de sa Philocalie, la prodigieuse continuité de la tradition hésychaste roumaine, cette tradition qui s’est inscrite dans les fresques des monastères moldaves, dans la politique de Neagoe Basarab, dans l’initiation reçue par Païssy Vélitchkovsky à l’ermitage de Poïana-Marului et dont allait procéder la renaissance spirituelle de l’Orthodoxie à la fin du xviií siècle. Lui-même n’a cessé d’être la conscience de la Roumanie spirituelle: dans l’entre-deux-guerres, à Sibiu, lorsqu’il a opposé à l’immanentisme de Lucien Blaga la conception d’une culture divino-humaine; au cœur même du second conflit mondial, lorsque, dans son livre, Jésus-Christ ou l’instauration de l’homme, il a rappelé que nous ne pouvons trouver notre humanité qu’à travers celle du Christ; de 1945 à 1948, lorsqu’il a animé le renouveau monastique et spirituel roumain en publiant les premiers volumes d’une Philocalie où la place décisive revenait aux synthèses christologiques de Maxime le Confesseur, seule vision de l’homme qui puisse être totale sans être réductrice; après 1949, à l’institut de Théologie de Bucarest où il a lutté pour faire admettre par la hiérarchie la nécessité d’une libre recherche théologique, pour faire admettre aux théologiens la nécessité d’une expression enracinée dans la vie de l’Église et dans l’ascèse personnelle. Et je passerai sous silence les années où il a simplement porté sa croix, parce que lui-même m’a dit que c’était la condition normale du chrétien et qu’il ne fallait donc pas en parler.
La «roumanité», je la trouve chez lui dans l’équilibre de la contemplation et de l’action, dans le sens cosmique du christianisme, dans une humanité infinie.
L’équilibre de la contemplation et de l’action, c’est toute la tradition de saint Callinique de Cernica, ascète rigoureux, profond mystique, mais aussi grand bâtisseur et organisateur, toujours au service des malheureux qu’il nommait «les petits frères de Jésus» (anticipant ainsi, mot pour mot, le vocabulaire du Père Charles de Foucauld). De même la conception qu’a le Père Dumitru de la spiritualité philocalique met en valeur la noblesse et la grandeur de l’homme et ses capacités créatrices. Un immense amour de la vie porte ce théologien. Pour lui l’ascèse n’est pas mépris de la vie et du monde, mais possibilité de s’émerveiller de l’un et de l’autre, reconnus comme dons de Dieu.
Un christianisme cosmique: celui des paysans roumains pour qui le monde est une théophanie, une transparence à la lumière. Monde, en roumain, ne se dit-il pas lume, où l’on retrouve le lumen latin? Le Père Dumitru a fortement mis en valeur la seconde étape, trop souvent oubliée, de la voie spirituelle dans l’Orient chrétien: après la praxis ascétique, avant la déification, la «contemplation de la nature» en Dieu, le sens de la présence de Dieu à travers les êtres et les choses.
Une humanité infinie enfin, car la déification est pour lui la seule voie d’une entière humanisation. Elle détruit le «mur de brutalité et de dureté qui enveloppe comme une défense la délicate essence de l’humanité véritable» (PJE, 23), elle permet de refléter intégralement l’humanité du Christ. Pour évoquer la sainteté, son vocabulaire se fait de fluidité et de chaleur: fluidité de la tendresse, de la délicatesse, d’une sensibilité sans limites, «chaleur qui réchauffe les autres... et leur fait éprouver la joie de n’être pas seuls» (ibid., 25).
Roumain et universel. Orthodoxe, et par là uni à tout. Un homme qui n’a pas peur. Qui n’a pas peur de l’Occident, ni des prétentions de l’humanisme et de la rationalité modernes, mais qui tente, prophétiquement, de tout entraîner dans le mouvement d’un véritable divinohumanisme. Plus il avance, et plus il sent que la Tradition, si elle ne doit pas mourir mais rester fidèle à l’Esprit Saint, dont irénée de Lyon disait qu’il est juvenescens, plus il sent que la Tradition doit inventer des mots nouveaux, des mots capables de toucher le cœur des hommes en cette fin du XXe siècle, en cette aube du troisième millénaire... Parmi tant d’autres, je choisirai trois thèmes qui me semblent, dans cette œuvre, fondamentaux: celui de l’amour comme langage sur Dieu et sur l’homme; celui de la signification spirituelle du monde; celui de l’Église comme «laboratoire de résurrection» (D II, 229).
Pour parler de Dieu, le Père Dumitru parle de l’amour. Et pour parler de l’amour, il parle de l’ascèse comme détachement émerveillé et de la prière comme approfondissement dans l’existence devenant relation personnelle. Ainsi, dit-il, et c’est le contexte apophatique de sa pensée: au-delà d’eux-mêmes, «les mots sont dans le même temps et prononcés et dépassés». Ils ne peuvent devenir des fantasmes, se refermer sur eux-mêmes, mais célèbrent «le contact immédiat avec la réalité de Dieu» (PJE, 44–45).
L’expérience humaine de la bonté, dans l’amitié, dans le service, peut nous faire pressentir la tripersonnalité de Dieu. Car la bonté va de l’un à l’autre, mais implique un troisième, l’Autre absolu, qui pose les deux premiers à la fois dans leur différence et leur communion. De même le sujet divin ne peut être solitaire, il ne peut non plus, à peine de ne plus être absolu, se satisfaire de quelque chose qui lui serait extérieur. Il pose donc de toute éternité un Autre, qui lui est à la fois intérieur et égal en infinitude. Mystère du Père et du Fils. Mais surgit simultanément un Troisième, l’Esprit, qui permet aux deux autres de dépasser aussi bien la dualité que la confusion, de sorte que l’amour de l’un pour l’autre soit lui-même une Personne, car rien ne peut être impersonnel en Dieu: «Seulement les Trois dans une réciprocité ininterrompue – chacun unique et en même temps contenant les deux autres sans les confondre – représentant la perfection de l’existence et de la relation» (PJE, 91).
Ce dialogue aimant en Dieu, cette immense Communion trinitaire fonde le dialogue et la communion de Dieu avec les personnes créées, et de celles-ci entre elles.
L’homme est à l’image de Dieu en effet et cette relation fondamentale peut seule expliquer la capacité d’autotrans- cendement de l’homme, au-delà des conditionnements de la nature et de la société. «Le christianisme a révélé le mystère abyssal et indéfinissable de la personne humaine et de sa conscience» (PJE, 53). Dumitru Staniloaë applique à l’anthropologie la distinction palamite de l’essence et des énergies: chaque personne est un secret inaccessible qui se révèle par la grâce de l’amour: «Nous vivons notre relation à l’autre dans cette tension: accessible et inaccessible» (DA, 31) – d’autant plus inconnu qu’il est connu, pourrait-on dire (et dans ce dynamisme de la communion, nous évitons de substantialiser le palamisme...). En Dieu coïncident l’absolu, la personne et l’amour. Et il en est de même, de plus en plus, pour l’homme qui s’ouvre à Dieu et dont la conscience s’éclaire de la lumière infinie de la conscience divine. L’humanité est appelée à entrer dans toute la plénitude de la Communion trinitaire. Si tout homme pressent cet appel du Logos «en qui, dit saint Paul, ont été créées toutes choses qui sont dans les cieux et sur la terre» (Col. 1, 16), c’est dans le Logos incarné et glorifié qu’achèvent de s’ouvrir à nous les espaces trinitaires. En Christ, l’humanité est ontologiquement transfigurée, et possibilité nous est offerte de nous inscrire volontairement, personnellement, dans l’immense mouvement de sacrifice par lequel le Christ consume toute séparation et intègre en Dieu l’univers. «État de sacrifice», dit le Père Staniloaë avec saint Cyrille d’Alexandrie, sacrifice de sanctification, de réintégration, rétablissement de l’«anneau» – symbolon au sens originel du terme – qui unit le ciel et la terre. Le progrès vers la communion, vers l’intériorité réciproque, lui-même fondé sur la dilatation croissante de l’âme dans la lumière divine, inaugure pour nous, dès ici-bas, la vie éternelle (DA, 49). Il faut relire ici une des pages les plus belles de cette œuvre, les plus prophétiques aussi devant l’extrême solitude où aboutit le nihilisme contemporain, solitude qui pousse, par compensation, tant de jeunes êtres vers les gnoses ou des spiritualités fusionnelles: «L’homme agonise quand il est privé de toute communion avec un autre homme. Mais la communion entre les personnes humaines agonise quand elle ne trouve pas sa source et son fondement en Dieu, Personne infinie ou plutôt Unité infinie des Personnes divines. On ne peut avoir la révélation de l’autre comme profondeur jaillissante, comme source d’une vie sans limites, que si l’Esprit Saint nous montre l’autre en Dieu, dans le mystère du Dieu personnel qui se révèle. La seule personne dont jaillissent inépuisablement la vie et la lumière est celle du Christ. Les expériences mystiques que cherchent aujourd’hui beaucoup de jeunes dans le yoga ou la métaphysique hindoue sont vouées à l’échec si elles n’aboutissent pas à la communion personnelle avec le Christ, à l’inépuisable profondeur et chaleur de sa personne divino-humaine. C’est seulement dans la personne divino-humaine du Christ, connue grâce au feu de l’Esprit, que la personne humaine se sauve de l’enfer de la solitude» (PJE, 103–104).
Dieu cependant ne s’impose pas. Sa discrétion infinie fonde la liberté de l’homme, que le Christ ne cesse d’accompagner dans sa révolte et son désespoir, attendant à la porte du cœur humain comme un mendiant d’amour. Ainsi coexistent dans le Dieu vivant la joie de l’amour trinitaire et la kénose mystérieusement continuée. Le Père Staniloaë reprend ici les mots d’Origène – «le Christ ne sera dans la joie profonde que lorsque tout son corps le sera» – et ceux de Pascal: «Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde» (cit. in D I, 197–198). Grâce à la distinction de l’essence (où Dieu est plénitude transcendante) et des énergies (par lesquelles il s’engage réellement dans tout le tragique de nos existences), se trouve à la fois assumé et équilibré le kénotisme extrême de la théologie occidentale contemporaine avec laquelle le Père Staniloaë ne cesse de dialoguer dans le cours traduit en français et publié sous le titre Dieu est amour. Par là même, il rejoint consciemment les intuitions les plus émouvantes de la théologie russe moderne sur l’Agneau immolé depuis la fondation du monde, sur l’enracinement de la kénose douloureuse dans la kénose joyeuse de la vie intra-trinitaire, un des thèmes fondamentaux du Père Serge Boulgakov.
La signification spirituelle du monde, qu’il est important de retrouver aujourd’hui où l’homme de la civilisation scientifique découvre sa responsabilité envers la nature, où le problème de la répartition des biens se pose à l’échelle planétaire, où tant de jeunes n’ont d’autre voie vers le mystère que la beauté cosmique. C’est peut-être sur ce point que la pensée de Dumitru Staniloaë est le plus prophétique. Il a élaboré une admirable théologie du temps et de l’espace, du monde comme don de Dieu, enfin de l’homme logikos.
Il refuse d’opposer sans autre, dans une perspective qui serait plus hindoue que biblique, l’éternité au temps, l’infini à l’espace. Pour lui le temps et l'espace expriment dans la création le mystère de la Trinité. «L’éternité divine comme plénitude de vie, dialogue de l’amour intérieur et plénier entre les sujets trinitaires... porte en elle la possibilité du temps...», écrit-il dans sa Dogmatique (D I, 177). En Dieu la réponse d’amour de chaque hypostase aux deux autres est instantanée: l’éternité signifie cette immédiate réciprocité. L’homme, lui, a besoin du temps comme épreuve de sa liberté. Le temps nous est donné pour y faire mûrir notre amour. Il faut du temps pour aimer Dieu, il faut du temps pour aimer l’autre. Et comme les hommes se sont enfoncés aveuglément dans le temps, n’y trouvant, malgré une insatiable nostalgie, que mort et que vide, Dieu est venu parmi eux, en Christ l’éternité a pu se faire temps, puisqu’elle est amour, et le temps éternité, puisque Jésus le fait réponse d’amour. En Christ s’ouvre à nous la mort-résurrection du temps, un présent tendu vers l’à-venir du Royaume et déjà visité par lui.
De même l’espace trouve son fondement dans l’infini de Dieu, qui est un infini de différence dans l’unité. Mais tandis qu’en Dieu l’altérité est immédiatement transparence, «la distance qui sépare (les personnes créées) de cette perfection prend la forme de l’espace..., forme qui rend possible le mouvement des créatures entre elles et vers Dieu» (D I, 200). «Habillés de chair», les hommes sont habillés d’espace, «le large espace de la liberté» (D I, 200). En Christ, l’espace ne sépare plus, il participe de l’omniprésence divine. Dans cet espace christique, espace de la communion des saints, la personne habite pleinement sa corporéité, lui donne une beauté aimante, la transforme en icône.
Ainsi nous devons faire du temps et de l’espace des moyens de communion, nous devons faire mûrir en eux ces «moments de communion» où, «dans la contemplation aimante et absorbante du mystère de l’autre» – et de l’Autre –, l’espace est «absorbé» par l’infini, le temps par l’éternité (D I, 204).
Nous comprenons alors que le monde est le don de Dieu, l’expression de son amour. Le monde nous est offert comme le lieu d’un immense dialogue: dialogue des hommes avec Dieu et des hommes entre eux. Le monde est enraciné en Dieu. La matière est une abstraction. Rien n’existe qui ne soit incorporation, «plastification» de l’invisible, des logoï du Logos, rien n’existe qui ne soit parole et pensée de Dieu. Et Dieu attend de l’homme qu’il «nomme les vivants», qu’il déchiffre les significations infinies que recèlent les choses, qu’il marque celles-ci de son génie créateur, «valorisant de son empreinte les dons reçus et les transformant en offrande...» (D I, 342). Le monde, la vie, ne cessent ainsi de «s’enrichir» et de «croître spirituellement» en devenant circulation d’amour de l’homme à l’homme et des hommes à Dieu. Le langage, le travail, l’art, la culture, les humanismes et les religions trouvent là leur sens, car la chute a obscurci mais non supprimé le caractère charismatique de la création. Le Père Staniloaë, ici, insiste sur la présence cosmique du Logos, présence qui a précédé et préparé l’incarnation comme, aujourd’hui, hors des limites apparentes de l’Église, elle prépare la Parousie. Cependant, les hommes sont sans cesse tentés de s’approprier le monde, de le posséder comme une proie: alors ils l’asservissent à la mort, et l’on observe simultanément aujourd’hui le risque d’un suicide de l’humanité et d’une destruction de la nature. Ici interviennent, pour transformer une situation de mort en situation de résurrection, le mystère du Christ et le ministère des chrétiens. En Christ, le monde devient eucharistie. En lui, nous pouvons transfigurer le monde en l’intégrant à la conscience interhumaine aimante, elle-même saisie, vivifiée par la sacrificielle conscience divino-humaine du Christ. Il appartient aux chrétiens de montrer aux hommes que la croix, que toutes les croix de l’histoire, nous appellent à passer de la possession au partage et à l’offrande, à découvrir le Donateur à travers le don. Nous appellent à respecter et à spiritualiser la nature et à partager fraternellement les biens de la terre car ils «sont destinés à servir la communion interpersonnelle» (D I, 344). La sainteté communique la lumière divine non seulement au corps de l’homme mais à toute l’ambiance cosmique. Aujourd’hui, quand l’histoire elle-même pose les questions ultimes, nous sommes appelés à une sainteté géniale capable de communiquer la lumière aux fondements mêmes de la culture. Ici s’affirme, dans la pensée du Père Staniloaë, une pénétrante interprétation du thème patristique de l’homme logikos, interprétation qui développe surtout la métaphysique de Maxime le Confesseur. Tandis que les choses sont des images créées des logoï qui rayonnent du Logos, l’homme, comme sujet personnel créé, est l’image directe du Logos comme sujet personnel incréé de tous les logoï du monde. L’homme logikos est donc appelé à déchiffrer les logoï des choses pour les retourner au Logos après les avoir marqués de son intelligence et de son amour. Ce déchiffrement est «un acte de connaissance synthétique et direct», une intuition spirituelle qui elle-même suscite une rationalité ouverte, qui élargit et féconde la compréhension rationnelle du monde. Le Logos divin, en s’«humanisant» est devenu le sujet de l’intelligence humaine, il a donné à celle-ci une ouverture sans limite. «En lui l’homme a retrouvé la position et la force d’anneau de la création» (CC, 451). Simultanément, le Christ est devenu le sujet direct, divino-humain, de tous les logoï, il leur donne leur contenu le plus profond, leur être, leur dynamisme de résurrection, il révèle «leurs racines dans la profondeur abyssale du Dieu personnel» (ibid.).
Ainsi le Père Staniloaë appelle l’Église à un dialogue en profondeur avec la pensée contemporaine, avec les savants en particulier. La science découvre la rationalité du monde. Mais une rationalité sans un sujet éternel est inexplicable: «La rationalité du monde présuppose la profondeur rationnelle et plus que rationnelle, apophatique, d’une Personne éternelle et n’a de sens que si elle est adressée par cette Personne éternelle à des personnes raisonnables et plus que raisonnables pour réaliser un accord et une communion d’amour avec elles» (CC, 448).
Les chrétiens, tout en collaborant avec tous les hommes qui, animés par la présence cosmique du Logos, cherchent la vérité, le bien, la beauté, doivent leur montrer que dans le Christ s’ouvre l’horizon infini d’une rationalité qui ne bute plus sur le néant, d’une poésie ressuscitée. La mystique, loin de rejeter ou d’affaiblir la rationalité et la beauté, leur ouvre d’inépuisables possibilités.
L'Eglise «laboratoire de résurrection»: dans le deuxième volume de sa Dogmatique, le Père Dumitru écrit: «L’Église est l’union de tout ce qui existe, ou plutôt elle est destinée à englober tout ce qui existe: Dieu et la création... L’Église est l’immanent et elle a en elle le transcendant, la communion trinitaire des Personnes, remplie d’un amour infini pour le monde» (D II, 208). Il fait alors la synthèse des élaborations ecclésiologiques qui caractérisent la pensée orthodoxe de notre siècle: l’Église communauté eucharistique, corps sacramentel du Christ, lieu d’une Pentecôte continuée, dispensation de l’amour trinitaire. Toutefois, ce qui me frappe dans ces conceptions, c’est leur dynamisme, leur ouverture, et l’appel qu’elles contiennent à ne pas en rester à des formules mais à s’engager sur la voie difficile et humble de l’approfondissement personnel.
Dynamisme d’abord, aux antipodes de tout monophysisme pétrifiant. L’Église est un lieu d’incarnation, où doivent s’unir les énergies divines et les énergies humaines. Ce qui exige de la part des fidèles un mouvement toujours renouvelé de pénitence et de pardon mutuel. Tous sont pécheurs, tous pèchent les uns contre les autres, tous doivent donc se pardonner les uns les autres et prier les uns pour les autres. «L’Église n’est pas une société figée, immobile, mais une communion en mouvement, formée d’hommes pécheurs qui, en même temps se purifient par la prière les uns pour les autres» (PJE, 80). L’Église, dans sa profondeur, n’est rien d’autre que «le buisson ardent du feu inépuisable de l’amour que le Christ offre aux hommes dans son humanité» (D II, 229). Encore faut-il que les hommes acceptent ce feu, osent s’y jeter, laissent leur agressivité ou leur indifférence se dissoudre dans ces «ondes continuelles de pardon, de prière et d’amour que le Saint-Esprit met en mouvement» (PJE, 80).
Ouverture: l’Église est «laboratoire de résurrection» non seulement pour les orthodoxes mais pour tous les chrétiens, pour tous les hommes, pour l’univers dont elle est le fondement spirituel. De la pensée du Père Dumitru, je ne dirai pas qu’elle est œcuménique, je dirai qu’elle est «catholique» au plein sens de ce mot: kat'holon, selon la plénitude, selon une totalité englobante. Il dessine les perspectives d’une catholicité ouverte où toutes les confessions chrétiennes doivent se trouver chez elles, avec leur diversité, leurs élaborations positives, tout en consumant leurs limitations dans le buisson ardent de la sainteté. L’Église est «laboratoire de résurrection» pour l’humanité tout entière, car les chrétiens sont cette mystérieuse «âme du monde» dont parlait l’Épître à Diognète, un peuple sacerdotel, royal et prophétique «mis à part» pour transformer en Christ la passion aveugle de l’histoire en chemin de résurrection. Partout travaille l’Esprit, partout agit la présence pré- ou para-incarnationnelle du Logos et il nous appartient, par notre prière et notre amour, d’assumer au creuset de la résurrection le gémissement de l’univers comme le cri de Job de l’histoire. Dumitru Staniloaë y insiste: le saint est celui qui prend tous les hommes dans sa prière.
Approfondissement spirituel enfin. La plus belle théologie, si elle reste du domaine de la pensée, objective le mystère et nous le fait perdre. «La pensée sur Dieu interrompt la relation directe avec Dieu» (PJE, 41). Il importe donc de faire reposer l’intellect dans le cœur, cet abîme ouvert sur l’infini de Dieu. Il importe, selon la si belle expression du Cours de théologie ascétique et mystique, «d’aller vers Jésus par les profondeurs du cœur». Alors seulement l’esprit de l’homme, quand il s’unit au cœur et s’embrase d’amour, peut devenir transparent à la lumière du Saint-Esprit. Jamais l’ascèse ainsi présentée n’apparaît sèchement moraliste et volontariste. Il ne s’agit pas d’écraser la vie, mais de la transformer. Les passions, que le Père Dumitru définit comme un «attachement infini à des réalités finies» (PJE, 43) témoignent à leur manière de la «capacité d’infini» du cœur humain. C’est leur énergie qu’il faut débloquer et métamorphoser dans l’élan des énergies divines: où notre théologien rejoint et dépasse la «psychologie des profondeurs», de même que, dans son Cours d’ascétique, il utilise l’analyse heideggérienne de l’«inauthenticité» pour montrer que la «crainte de Dieu» est cet ébranlement qui nous arrache aux apparences pour nous révéler à la fois notre finitude et notre salut. La déification apparaît alors comme l’accomplissement de notre humanité dans celle de Jésus, vivifiée par les énergies divines. De ces énergies, les vertus sont «les formes humaines», «par les vertus, Dieu devient homme dans l’homme, puis il rend l’homme Dieu» (PJE, 54). Toutes les possibilités humaines se déploient, les structures de la pensée, de la sensibilité, de la joie, de l’amour, de la communion, tout en restant des structures humaines, reçoivent «une capacité d’infinie conscience divine» (ibid., 53).
Si la rencontre de Dieu dépasse l’objectivation qui menace la pensée, il en est de même pour la rencontre d’un homme. En particulier, je retrouve le Père Dumitru dans ces lignes qu’il a consacrées à l’homme qui se laisse pénétrer par la tendresse à la fois personnelle et ontologique de Jésus. Un tel homme, dit-il, «nous délivre de cette défiguration et de cette impuissance où nous nous trouvons, de cette méfiance qui règne en nous... Nous sentons que par lui nous viennent la force et la lumière provenant de la source suprême de la force et de la lumière, mais aussi la bonté qui ruisselle de la source suprême de la bonté» (PJE, 29–30).
Olivier Clément
SIGLES
D I ou II ou III: Teologia dogmaticà ortodoxà. 3 vol. Éd. de l’institut biblique et missionnaire de l’Église orthodoxe roumaine. Bucarest, 1978.
CC: La centralité du Christ dans la théologie, la spiritualité et la mission orthodoxes, in Contacts n° 92, 4e trimestre, 1975.
DA: Dieu est amour. Tr. fr. Labor et Fides, Genève, 1980. PJE: Prière de Jésus et expérience du Saint-Esprit. Desclée de Brouwer, Paris, 1981.
Préface
En rédigeant cette synthèse de théologie dogmatique, nous avons tenté de découvrir la signification spirituelle des enseignements de l’Église et de mettre en évidence leur vérité dans sa correspondance aux besoins profonds de l’âme, qui cherche le salut et progresse sur le chemin d’une communion toujours plus grande avec le prochain, communion par laquelle elle arrive à une certaine expérience de Dieu en tant que communion suprême et source de toute communion. Ainsi, nous avons abandonné la manière scolastique de traiter les dogmes comme des propositions abstraites, d’un intérêt purement théorique, et en grande mesure dépassé, sans lien avec la vie profonde de l’âme. Une authentique théologie dogmatique orthodoxe signifie une interprétation des dogmes pour dévoiler la profondeur libératrice, infiniment riche c’est-à-dire vivante et spirituelle, que contiennent leurs brèves formules.
Dans cette tentative, nous nous sommes pénétrés de la manière dont les Pères ont compris la doctrine de l’Église, mais, dans notre interprétation des dogmes, nous avons tenu compte aussi des besoins spirituels de l’homme de notre temps qui a connu beaucoup de nouvelles expériences vitales au cours des nombreux siècles qui nous séparent de l’époque des Pères.
Nous nous sommes donc efforcé de comprendre l’enseignement de l’Église dans l’esprit des Pères, mais, en même temps, de le comprendre tel que nous croyons qu’ils l’auraient compris aujourd’hui. Car ils n’auraient pas fait abstraction de notre temps, de même qu’ils.ne l’ont pas fait du leur.
En guise de conclusion, nous tenons à exprimer notre reconnaissance à Sa Béatitude le Patriarche Justin, qui, dans sa haute compréhension et sa volonté de promouvoir une théologie propre à l’Église orthodoxe roumaine, a bien voulu approuver la publication de cette synthèse aux Éditions de l’institut Biblique et de Mission de notre Église.
L’auteur
Chapitre I. La création comme révélation
L’Église orthodoxe ne sépare pas révélation «naturelle» et révélation «surnaturelle». La révélation «naturelle» est pleinement connue et comprise à la lumière de la révélation «surnaturelle»; la révélation «naturelle» est donnée et maintenue par l’action surnaturelle de Dieu.
C’est pourquoi saint Maxime le Confesseur ne fait pas une distinction essentielle entre la révélation cosmique et la révélation biblique. Selon lui, celle-ci n’est que l’incorporation, la réalisation de la première dans des personnes et des événements historiques3. Cette affirmation doit être probablement comprise en ce sens que les deux révélations ne sont pas séparées: la révélation surnaturelle se développe et porte ses fruits dans le cadre de la naturelle, comme une mise en relief plus accentuée de l’œuvre de Dieu, par laquelle II conduit le monde physique et historique vers le but pour lequel il a été créé, selon un plan établi de toute éternité. La révélation «surnaturelle» rétablit seulement l’orientation et donne une impulsion décisive au mouvement suscité par Dieu dans le monde par la révélation «naturelle». D’ailleurs, au commencement, dans l’état normal du monde, la révélation «naturelle» n’était pas séparée d’une révélation «surnaturelle».
Par conséquent, la révélation «surnaturelle» met seulement dans une lumière plus claire la révélation «naturelle».
Pourtant, l’action de Dieu n’a pas le même accent et ne se manifeste pas de la même manière dans ces deux révélations. Parlant plus concrètement, et conformément à notre foi, le contenu de la révélation «naturelle» est le cosmos et l’homme doué de raison, de conscience et de liberté; ce dernier étant non seulement objet de cette révélation, mais aussi sujet de sa connaissance.
Cependant, tant l’homme que le cosmos proviennent d’un acte créateur surnaturel de Dieu et sont maintenus dans l’existence par Dieu à travers une action de conservation qui elle aussi a un caractère surnaturel. Mais à cette action de conservation et de conduite du monde vers son but propre, répondent une puissance et une tendance à l’auto-conservation et au développement du cosmos et de l’homme. De ce point de vue, le cosmos et l’homme peuvent être considérés eux-mêmes comme une révélation. Mais le cosmos et l’homme constituent une révélation aussi du point de vue de la connaissance. Le cosmos est organisé d’une manière qui correspond à notre capacité de connaissance. Le cosmos et la nature humaine intimement liée à lui sont empreints de «rationalité4», tandis que l’homme, image de Dieu, est doué en outre d’une raison capable de connaître consciemment la rationalité du cosmos et de sa propre nature. Mais cette rationalité du cosmos et notre raison humaine capable de connaissance sont – selon la foi chrétienne – le produit de l’acte créateur de Dieu. Donc, de ce point de vue non plus, la révélation «naturelle» n’est pas purement naturelle.
Nous considérons que la rationalité du cosmos atteste le fait qu’il est le produit d’une Raison divine, car la rationalité du créé serait inexplicable sans une Raison consciente qui la connaît et la pénètre avant même de la créer et ensuite en la maintenant dans l’être.
Selon notre foi, la rationalité du cosmos n’a de sens que si le cosmos a été pensé par un Créateur et ne cesse d’être pensé par lui. Simultanément, le cosmos a été amené à l’existence afin d’être connu par l’homme pour lequel il a été créé, et de réaliser, par sa médiation, un dialogue entre cet être raisonnable créé et le Créateur. Ce fait constitue le contenu de la révélation «naturelle».
Or c’est ce qu’affirme aussi la révélation «surnaturelle», lorsqu’elle enseigne qu’à la position créatrice de Dieu à l’égard du monde correspond notre position de connaisseurs et de façonneurs de la nature, en tant qu’images de Dieu.
Ainsi le monde a une rationalité pour être connu par nous, êtres raisonnables.
C’est pourquoi cette rationalité doit avoir son origine dans Celui qui, par la création du monde, a voulu, et, par sa conservation, veut toujours, la connaissance du monde par l’homme, et par là même, aussi se faire connaître lui-même à l’homme.
Ainsi l’homme apparaît comme le seul être qui, appartenant au monde et empreint de rationalité, est conscient de cette rationalité et, en même temps, conscient de soi-même. Étant les seuls êtres du monde conscients d’eux-mêmes, nous sommes simultanément la conscience du monde, appelés à valoriser sa rationalité, à le transformer en notre faveur, et par là, à former notre propre conscience. Nous ne pouvons être conscients de nous-mêmes sans être conscients du monde et des choses qui se trouvent en lui. Plus nous connaissons le monde, plus nous sommes conscients de nous-mêmes.
Cependant le monde, bien qu’il contribue de cette manière passive à notre formation et à l’approfondissement en nous de la conscience de soi, ne devient pas lui aussi conscient de soi. Cela signifie que ce n’est pas nous qui sommes pour le monde, mais que c’est le monde qui est pour nous, bien que le monde nous soit nécessaire. C’est l’homme qui est la finalité du monde, et non l’inverse. Le fait même que nous nous rendions compte que le monde nous est nécessaire montre la supériorité de l’homme vis-à-vis du monde. Car le monde n’est pas capable de saisir que nous lui sommes nécessaires. Le monde, existant comme objet inconscient, existe pour l’homme. Il est subordonné à l’homme, sans être créé par celui-ci.
Les «raisons» (logoï) des choses dévoilent leur signification dans la raison de l’homme et par son action consciente. De même, notre raison, par la découverte des logoï des choses, découvre avec toujours plus de richesse sa propre force et profondeur.
Toutefois, dans cette influence réciproque, c’est la raison humaine qui est le sujet qui agit consciemment, et non les «raisons» des choses.
Les «raisons» des choses se dévoilent à la conscience humaine pour être assimilées par elle, concentrées en elle; elles ont la raison humaine pour centre virtuel conscient, et elles aident celle-ci à devenir leur centre manifeste. Elles sont comme les rayons virtuels de la raison humaine en voie d’être découverts, comme ses rayons actuels par lesquels elle élargit toujours plus sa vue.
Le fait que le monde révèle son sens dans l’homme, pour l’homme et par l’homme, montre que c’est le monde qui est pour l’homme, et non pas l’homme pour le monde. Cependant le fait que l’homme même, en éclairant le monde, s’éclaire lui-même pour lui-même par le monde, montre que le monde est nécessaire à l’homme. C’est le monde qui est créé pour être humanisé, et non pas l’homme pour être assimilé au monde, à la nature. C’est le monde entier qui est fait pour devenir un homme immense, ou le contenu de l’homme devenu une personne tout-englobante, et non pas l’homme qui serait destiné à devenir une partie de la nature, ne valant pas plus que n’importe quelle autre de ses parties, ou à se fondre dans la nature.
Une fusion de l’homme dans la nature supprimerait le facteur le plus important de la réalité, sans que la nature gagne quoi que ce soit de nouveau; tandis que par l’assomption du monde dans l’homme, c’est la nature même qui gagne, étant ainsi élevée sur un plan totalement nouveau, sans pour autant être abolie.
Notre dissolution dans la nature ne représenterait aucun progrès pour celle-ci, tandis que l’humanisation continue de la nature représente un progrès illimité, sans même tenir compte du fait que par là rien ne se perd, et surtout, rien de ce qui est le plus précieux, c’est-à-dire l’homme.
Certains Pères de l’Église ont dit que l’homme est un microcosme, qui résume en lui tout l’univers. Toutefois, saint Maxime le Confesseur a remarqué qu’il serait plus juste de considérer l’homme comme un macrocosme, parce qu’il est appelé à prendre en lui le monde entier, étant capable de le comprendre sans s’y perdre, car il le transcende.
Au contraire le monde, en tant que cosmos, que nature, ne peut pas s’assimiler totalement l’homme sans le faire périr, sans détruire ainsi la réalité la plus importante, la seule proprement donatrice de sens.
Un terme plus précis pour exprimer le fait que l’homme est appelé à devenir un monde plus grand est celui de macro-anthropos, qui, à proprement parler, exprime le fait que le monde entier est appelé à s’humaniser, c’est-à-dire à recevoir entièrement le sceau de l’humain, à devenir panhumain, actualisant ainsi l’exigence qui se trouve impliquée dans son être même.
Que le cosmos soit pour l’homme, et non l’homme pour le cosmos, se voit non seulement dans le fait que le cosmos est l’objet de la conscience et de la connaissance humaines, et non l’inverse, mais aussi dans le fait que le cosmos sert pratiquement l’existence humaine.
Les degrés inférieurs de l’existence: chimique, minéral et organique, bien qu’ils aient une rationalité, n’ont pas de but en eux-mêmes, ils constituent la condition matérielle de l’existence de l’homme ; et ils ne sont pas conscients de ce but. Car c’est dans l’homme que s’ouvre l’ordre des buts conscients. Et c’est seulement dans le cadre des buts poursuivis par lui que s’ouvre aussi la compréhension des buts des degrés de la création inférieurs à l’humain. Les buts des degrés inférieurs s’intégrent aux buts suivis par l’homme, car celui-ci étend à toutes choses un sens vraiment ultime de l’existence. A la différence des degrés qui lui sont inférieurs, l’homme n’accomplit pas son existence comme moyen d’un degré supérieur, car il n’y a pas dans le monde un tel degré. L’homme poursuit ses propres buts. Et, à ce sujet, il y a une grande diversité entre les hommes. Chaque homme, à cause de sa conscience et de sa liberté, se sert à sa manière propre des degrés qui lui sont inférieurs. Et pour s’en servir, l’homme s’organise et transforme les données du monde en les marquant de son empreinte. Cette adaptation du monde aux besoins toujours plus grands et raffinés de l’homme nécessite en premier lieu la connaissance des choses par l’homme.
En même temps, c’est toujours de notre nature – celle du seul être conscient de soi et du monde – que dépend la recherche du sens de notre existence et du monde. Et seule la perspective de l’éternité peut nous donner ce sens.
Car dans la conscience de nous-mêmes est impliquée, en même temps que la recherche du sens de notre existence, la volonté de persister éternellement, pour approfondir à l’infini le sens de notre existence et de la réalité tout entière.
Selon la foi chrétienne, nous sommes faits pour l’éternité, car nous aspirons, comme des asphyxiés, à l’éternité, à l’absolu. Nous voulons aimer et être aimés toujours davantage, dans la perspective d’un amour absolu et sans fin. Mais tout cela, nous ne pouvons le trouver qu’en relation avec une Personne infinie et absolue, avec une Personne consciente, s’il nous est permis d’employer un pléonasme. Nous aspirons à découvrir et à réaliser une beauté toujours plus grande, à connaître une réalité toujours plus profonde, à progresser dans une nouveauté permanente. Et c’est parce que nous sommes des personnes que nous tendons ainsi à l’infini.
Or, tous ces aspects d’une réalité infinie, nous ne pouvons les trouver que dans une Personne infinie, plus exactement, dans une Communion de Personnes dont la nature, l’amour et la beauté sont infinis. C’est de la communion toujours accrue avec la Personne infinie que se projettent en nous, et, à travers nous, sur tous les aspects du monde, des rayons toujours nouveaux de réalité, de beauté, de nouveauté, et que s’ouvrent des dimensions et des horizons toujours autres de la réalité.
La communion avec la Personne ou plutôt les Personnes infinies devient pour les hommes le moyen d’une avancée infinie dans l’amour et la connaissance. Elle vivifie en chacun la conscience de soi. Même si les consciences de soi humaines, qui se succèdent et se remplacent, se transmettaient le sens de l’existence qu’elles ont acquis, celui-ci, s’il n’avait pas de portée éternelle pour s’approfondir à l’infini, apparaîtrait comme dépourvu d’un but réellement personnel.
En fait, ce ne sont pas les sujets qui sont pour une conscience ininterrompue, voire pour une conscience ininterrompue éternelle, mais c’est celle-ci qui est pour le sujet, et lui donne du sens. C’est seulement par une telle conscience éternelle et éternellement en voie d’approfondissement que nous montrons le but de tous les degrés inférieurs d’existence, en éternisant et en éclairant pour l’éternité toutes les réalités du monde. C’est seulement ainsi qu’on montre que toutes choses sont pour nous, et que nous sommes pour nous-mêmes un but éternel et le but sans fin de toutes les choses du monde.
Au fond, en tout ce que nous faisons nous poursuivons un but, pour lequel nous utilisons les choses du monde. Mais nous, nous avons besoin d’un but final éternel, plus exactement nous devons être nous-mêmes ce but final éternel, pour faire la preuve que nous sommes des êtres doués de sens. Par tout notre agir, nous manifestons directement ou indirectement un tel but éternel, nous poursuivons notre affirmation comme but éternel. C’est seulement en cela que nous voyons le sens de notre existence et de nos œuvres. Nous devons donc voir le but de notre existence au-delà de notre vie terrestre, passagère, car si la mort mettait fin définitivement à notre existence, nous ne serions plus un but en soi, mais un moyen dans un processus inconscient de la nature. Dans ce cas, tout le sens de notre vie, tous les buts poursuivis par nous et finalement toutes les choses apparaîtraient dénués de sens.
Conformément à notre foi, l’ordre des significations ne peut être ignoré. Les significations sont réelles et l’homme ne peut vivre sans elles car elles culminent dans un sens ultime dont il est convaincu qu’il l’atteint au-delà de la mort. Si l’homme contestait les significations, il serait l’existence la plus malheureuse. L’animal les ignore, et ne peut donc les contester.
Par sa conscience, l’homme cherche consciemment des significations et, en dernière analyse, un sens ultime, qui est son propre accomplissement dans l’éternité. Il est un but en soi, pour l’éternité. Il est fait pour l’éternité, ayant en lui une sorte de caractère absolu, c’est-à-dire une valeur impérissable, qui ne cesse jamais de s’enrichir.
L’homme est ouvert à des sens supérieurs au monde, et, par lui, le monde l’est aussi. Par la compréhension, par la liberté, par l’action, par l’aspiration, l’homme est ouvert à un ordre supérieur à celui de la nature, bien qu’il doive se servir de la nature. La vie terrestre est seulement une préparation de cet ordre éternel. Notre existence est ordonnée à la possibilité d’un perfectionnement spirituel continu, non asservi à la nature et à la répétition. Cet ordre-là n’est pas produit par la nature qui se répète, mais c’est plutôt lui qui organise le cosmos au service de l’homme, afin que celui-ci travaille à un but supraterrestre.
Nous croyons que, pour notre être, les significations de l’existence ne peuvent pas trouver leur couronnement dans une vie spirituelle qui serait seulement immanente; car sa relative variété se meut, au fond, dans un cadre monotone, et finit avec la mort du corps comme phénomène de répétition naturelle. Le sens de l’existence ne peut être couronné que dans la lumière illimitée et éternelle d’une vie transcendante libre et de toute monotonie de la répétition et de toute relativité. C’est seulement sur ce plan que notre vie peut se développer à l’infini, dans une nouveauté illimitée, qui est en même temps une plénitude permanente.
Nous tendons vers un ordre au-delà de nous-mêmes, mais semblable à notre existence personnelle, et non vers la fusion dans une réalité impersonnelle qui se trouverait pour un temps à notre disposition, et dans laquelle ensuite nous disparaîtrions. L’homme tend vers une réalité personnelle infinie, supérieure à lui, dont il puisse vivre à l’infini, sans qu’il puisse cependant en disposer, puisque ses possibilités sont limitées, mais aussi sans qu’il y disparaisse.
L’ordre des significations ne résulte pas du psychisme humain et ne finit pas non plus avec les produits de celui-ci. Car il s’impose à nous spontanément et, par les aspirations qu’il nous inculque, il dépasse nos possibilités psychiques. L’homme ne peut vivre sans lui. Mais cet ordre s’impose comme un horizon personnel, infini, supérieur à l’homme et qui sollicite sa liberté et son amour. Il appelle l’homme à participer librement à lui, dès son existence terrestre.
Saint Maxime le Confesseur a souligné que tout parvient à son accomplissement dans l’homme, et que celui-ci réalise son sens dans l’union avec la Personne divine infinie. Ce but final doit être compris en conformité avec la liberté de l’homme et sa capacité de se développer à l’infini. Si la rationalité de l’ordre impersonnel inférieur trouve son accomplissement et sa raison d’être dans le service rendu à l’homme qui le transcende, celui-ci, en tant que personne consciente et libre, aspire à trouver son accomplissement, non en s’abolissant dans une essence plus haute que tout l’ordre matériel et spirituel, mais dans une communion avec une Personne transcendante et libre. Car la réalité supérieure à l’homme ne peut avoir, elle aussi, qu’un caractère personnel. Et si la relation la plus haute entre les personnes se réalise dans la communion, notre relation pleine et éternelle doit être une communion avec un être de caractère personnel, doué d’infinité et de liberté. Seul un être transcendant dans ce sens peut toujours renouveler et vivifier cette communion avec l’homme. De même que l’homme, en tant qu’être le plus élevé de l’univers, est une personne et, comme tel, conscient du sens de tout l’ordre inférieur qu’il achève, de même il doit trouver son accomplissement dans une Personne consciente.
En dernière analyse, seule la Personne suprême peut être consciente du sens de l’existence entière, comme l’homme est conscient des significations du monde qui lui est inférieur. Cependant la Personne suprême ne peut projeter ce sens total sur l’homme que si celui-ci se l’approprie d’une manière libre et consciente. Elle le communique à l’homme comme à une personne qui se l’approprie consciemment et par là enrichit sa conscience et tout son être, accomplissant ainsi son propre sens.
Ce faisant, la Personne suprême suscite et confirme notre caractère de personne consciente et libre.
Seule une Personne supérieure peut satisfaire l’aspiration de la nature humaine à l’accomplissement de son sens, parce que seule elle fait que cette nature humaine ne soit pas un objet englouti par un degré dit «supérieur» mais, au fond, inférieur, car inconscient. Si les degrés inférieurs à l’homme étaient personnels, l’homme ne les réduirait pas non plus à l’état d’objet. Par conséquent la Personne supérieure à l’homme ne réduit pas non plus celui-ci à l’état d’objet et ne le dissout pas en Elle.
Notre être, en tant que personne, ne peut trouver son accomplissement que dans la communion avec un être personnel supérieur, dans une relation où l’homme, dans une nouveauté permanente, assimile librement et consciemment l’infinie richesse spirituelle de la Personne suprême.
Cela signifie que notre personne reste libre dans la relation avec cet être supérieur. Cette relation trouve une analogie dans la relation de la personne humaine avec une autre personne humaine, relation dans laquelle se maintient la liberté des deux. Dans cette relation, l’homme existe pour une autre personne et lui rend service, mais par là il s’enrichit lui-même. Chaque homme est pour les autres autrement qu’il est pour les choses. Par ce fait d’exister pour les autres, l’homme ne se réduit pas à l’état d’objet, car dans le service rendu aux autres personnes il s’engage librement et, par l’effort de les rendre heureuses, il progresse lui-même en liberté et en contenu spirituel, sans rien dire de la chaleur de vie qui lui vient de la communion ou de l’amour de ces personnes. C’est seulement avec d’autres personnes que l’homme peut réaliser une communion où ni lui ni elles ne tombent à l’état d’objet de connaissance extérieure et d’utilisation toujours identique, mais s’accroissent comme sources d’une inépuisable chaleur d’amour et de pensées toujours nouvelles, nées justement de leur amour réciproque toujours créateur.
Si les personnes humaines finissaient par la mort, elles ne pourraient communiquer et recevoir à l’infini la chaleur de l’amour pour se développer chacune à l’infini, ainsi que l’homme, en fait, le désire. La vie humaine définitivement close par la mort frappe de non-sens et donc de non-valeur toute la rationalité qui existe dans le monde, et le monde même. Les significations poursuivies dans l’horizon de la vie terrestre sont frappées elles aussi de non-sens et de non-valeur, si la vie humaine, dans laquelle toutes choses semblent trouver un sens, finit définitivement dans la mort. Et notre tristesse la plus cruelle est le manque de sens, c’est-à-dire l’absence d’un sens éternel de notre vie et de nos œuvres. L’exigence de ce sens est intimement liée à notre être. Les dogmes de la foi répondent à cette exigence de sens. Par là ils affirment la rationalité complète de l’existence.
Seule l’éternité d’une communion personnelle avec une source personnelle de vie absolue offre à toutes les personnes humaines l’accomplissement de leur sens, en leur accordant en même temps la possibilité d’une communion éternelle et parfaite entre elles-mêmes.
La rationalité du sujet qui se sert consciemment – en vue de sa conservation et d’un développement positif – de la rationalité de la nature, est infiniment supérieure à celle-ci, car la nature ne peut se dérouler inéluctablement qu’en elle-même et sans avoir la conscience d’un but qui lui soit propre.
Conformément à notre foi, la rationalité qui existe dans l’univers exige un complément, il lui faut être éclairée dans la rationalité de la personne. Elle n’épuise pas toute la rationalité. Cette rationalité cosmique prise en soi, comme la seule qui existe, a amené beaucoup d’écrivains et de penseurs à considérer cet univers qui emmène toute personne humaine à la mort comme un énorme cimetière, un univers de la dérision, de l’absence de sens, d’une rationalité irrationnelle. Cependant la rationalité de l’univers ne peut être irrationnelle ou absurde. Elle reçoit son sens complet lorsqu’elle est considérée comme ayant sa source dans une personne raisonnable qui se sert d’elle pour un dialogue éternel avec d’autres personnes. Par conséquent la rationalité du monde implique, pour son accomplissement, l’existence d’un sujet supérieur, selon l’analogie de la supériorité de la personne humaine, l’existence d’un sujet libre qui a créé le monde et imprimé en lui une rationalité à la mesure de l’intelligence humaine, en vue d’un dialogue avec l’homme, dialogue par lequel l’homme sera conduit vers une communion éternelle et éminemment «raisonnable» (douée de sens) avec l’infini sujet créateur. Tout ce qui est objet rationnel est seulement le moyen d’un dialogue interpersonnel.
Donc le monde en tant qu’objet est seulement le moyen d’un dialogue de pensées et d’œuvres d’amour entre la Personne raisonnable suprême et les personnes raisonnables humaines, ainsi qu’entre celles-ci mêmes. L’univers porte la marque que lui donne son origine dans la Personne créatrice raisonnable et sa destination d’être le moyen d’un tel dialogue interpersonnel. L’univers entier porte la marque d’une rationalité personnelle destinée à l’éternisation des personnes humaines.
C’est seulement dans la participation éternelle à l’infinité de cette Personne suprême que notre être verra son sens accompli. En cela consiste la signification de la doctrine chrétienne orthodoxe sur la déification de l’homme par participation à Dieu c’est-à-dire par la grâce.
En d’autres termes, notre être considère que son sens, et simultanément le sens de la réalité entière, s’accomplira seulement par le fait qu’entre notre personne et la Personne divine il n’y a pas de place pour une existence intermédiaire: après Dieu, l’homme est en quelque sorte immédiat ; il peut, tout en restant homme, participer sans intermédiaire à Dieu comme degré suprême de l’existence. Pour atteindre ce but, ou pour l’accomplissement de ce vrai sens vers lequel tend notre être, non seulement nous nous élevons à la communion avec la Personne suprême, mais cette Personne aussi descend vers nous. Car l’amour exige l’élan de chacun de ceux qui s’aiment vers l’autre. Dieu se donne à l’homme par toutes choses, et l’homme se donne à Dieu.
Tel est en général le contenu de la foi imposé par le sens même de l’existence. Cette foi s’impose avec une évidence naturelle. Et loin d’empêcher le développement de l’univers, elle assure ce développement à l’infini et pour l’éternité, comme l’homme y aspire.
Cette foi exprime que le monde est créé pour un sens, donc qu’il est le produit d’un Créateur donateur de sens; qu’il est orienté par ce Créateur vers Lui-même, et, que dans ce but, c’est le Créateur qui conduit notre être vers la plus étroite union avec Lui. Ces points de la foi sont comme des dogmes naturels, ayant leur source dans ce qu’on appelle la révélation «naturelle» par laquelle Dieu se fait connaître du fait même qu’il crée le monde et l’homme, imprimant en eux le sens. Ces points de la foi sont une reconnaissance du fait que le monde culmine dans la personne humaine qui se meut vers l’union avec la Personne suprême, comme vers son but final. Ces dogmes de la foi naturelle affirment le maintien de la vie dans le plan supérieur de significations et du dynamisme ascendant des personnes humaines qui portent ces significations vers le sens parfait: l’éternisation dans l’union avec la Personne suprême.
Loin de clore et de réduire l’existence, ces dogmes lui ouvrent l’horizon de l’infini, s’efforçant de l’arracher à l’horizon étroit et monotone qui finit par la mort.
Saint Maxime le Confesseur décrit ainsi le dynamisme ascendant du monde: «Le but final du mouvement de ce qui se meut, c’est d’arriver à l’éternel être-bien, parce que son commencement est dans l’être qui est Dieu. Car c’est Lui qui est autant le donateur de l’être que le donateur de l’être-bien, en tant que son commencement et sa fin5.» L’être humain ne peut pas se reposer tant qu’il ne s’éternise pas dans l’infinité et donc dans la félicité de l’existence plénière. Le bienheureux Augustin l’a dit: «Inquietum est cor nostrum donec requiescat in Te» – «Inquiet est notre cœur, tant qu’il ne trouve en Toi son repos.»
Cependant les significations de l’existence, y compris son sens final, quelque évidents qu’ils apparaissent, ne s’imposent pas d’une manière scientifique, comme s’imposent les phénomènes de la nature par le fait qu’ils se répètent d’une manière uniforme et peuvent être soumis à l’expérimentation. C’est pourquoi leur ferme acceptation a le caractère d’une foi. Plus exactement, dans leur reconnaissance se combinent d’une manière paradoxale leur évidence et la nécessité de les accepter volontairement pour maintenir l’existence humaine sur un plan supérieur à l’existence naturelle de la répétition close par la mort; donc, dans leur acceptation, entre aussi le fait de la liberté.
La personne de mon semblable me révèle certaines de ses significations, mais leur reconnaissance dépend de ma liberté. Leur libre acceptation implique la foi.
Cette acceptation par la foi caractérise encore le domaine de la relation entre la personne humaine et la Personne divine et son achèvement dans l’éternité, quelque évidente qu’apparaisse la nécessité de cette relation comme sens de l’existence.
Ce domaine est celui de la synthèse entre l’évidence et la foi, parce qu’il est le domaine de la liberté et de l’esprit. C’est pourquoi saint Isaac le Syrien dit de la foi qu’elle est «plus fine que la connaissance des choses sensibles», ou «plus haute» qu’elle. D’autre part, considérant que la foi se combine à l’évidence d’un domaine supérieur, saint Isaac dit encore: «La connaissance s’achève dans la foi et reçoit de la force pour s’élever et pour sentir Celui qui est au-dessus de toute saisie et pour voir une lumière incompréhensible par la raison et par la connaissance des créatures... La foi donc nous révèle dès maintenant la vérité parfaite, et dans notre foi nous trouvons les choses incompréhensibles qui échappent à toute recherche et toute connaissance6.»
Mais tant comme contenu que comme capacité d’acceptation, la foi «naturelle» ou la foi fondée sur la révélation «naturelle» a besoin d’être complétée par la foi qui nous est donnée par la révélation «surnaturelle».
Chapitre II. La foi chrétienne comme accomplissement
А – La Révélation biblique confirmation et accomplissement de la Révélation cosmique
La foi «naturelle», qui a sa source dans la révélation de Dieu par la nature, quelque évidente qu’elle paraisse, est soumise au doute. D’abord, parce que nous sommes soumis à la tentation de prendre pour la seule réalité l’ordre des phénomènes connus par les sens et par les instruments qui les prolongent et qui offrent des satisfactions matérielles liées à l’existence passagère ; mais surtout parce que, d’une manière objective, à notre désir d’accomplissement dans une perfection éternelle, s’oppose la réalité inévitable de la mort. Ensuite parce que l’ordre des significations, qui indique à l’homme la perspective d’une communion avec la Personne infinie, ne paraît pas confirmé par l’initiative d’une telle Personne.
Ainsi la lumière du sens clignote dans les ténèbres. Dans cette situation, c’est la Révélation biblique qui vient à notre secours. Par elle, la Personne infinie et éternelle entre, de sa propre initiative, en communication avec l’homme, donnant aussi un fondement à notre communion avec nos semblables.
Connaissant, par cette Révélation, l’initiative claire de la Personne divine infinie, nous nous rendons compte qu’entre les tentations subjectives passagères, offertes par la nature, et la mort en tant que réalité objective, existe une corrélation et qu’elles ne représentent pas l’état normal de l’existence, mais un état de chute, car la mort donne l’impression qu’il n’y a rien au-delà d’elle; ou inversement: l’homme, par la préoccupation exclusive de lui-même, dans l’oubli du sens ou le doute, puis les plaisirs passagers liés au corps, affaiblit en lui l’esprit appelé à la vie éternelle. Ces tentations représentent un affaiblissement dans la poursuite du véritable but, donc un péché; et la mort est la conséquence de cet affaiblissement, de ce péché, elle est l’ultime effondrement de la réalité dans le non-sens.
Ainsi la Révélation biblique affermit les évidences de la foi «naturelle» dans lesquelles clignote le sens supérieur et éternel de l’existence. Elle l’affermit en la complétant, en faisant savoir à l’homme que sa nature se trouve maintenant, par le péché et par la mort, dans un état anormal, et en l’aidant à vaincre cet état. Ainsi la Révélation biblique représente le rétablissement de la nature humaine dans son véritable état, lui donnant en même temps la force d’atteindre le but auquel elle aspire. De cette manière, la Révélation confirme et restaure la foi «naturelle», ou la nature même comme révélation. Nous ne savons pleinement ce qu’est la nature et la révélation qu’elle représente que par la Révélation biblique et évangélique. La révélation «naturelle» ne s’éclaire dans son sens plénier que par la Révélation «surnaturelle». C’est pourquoi, après la chute du premier homme, les deux Révélations ne peuvent être vues que dans une étroite liaison. La Révélation «surnaturelle» rétablit, en fait, notre nature et celle du monde. Elle rend sûre l’évidence de la foi «naturelle» concernant la finalité de l’homme et du monde.
Si le péché comme séparation n’était pas intervenu, l’homme, et avec lui le monde, aurait progressé normalement vers son accomplissement éternel en Dieu, en s’affermissant dans la communion avec Lui à partir de la vie terrestre même. Mais parce que ce progrès n’était plus possible ni pour l’homme ni pour le monde, la Révélation biblique est venue délivrer notre nature de la faiblesse dans laquelle elle était tombée.
Grâce à elle, la Personne suprême – but final de la créature raisonnable – et la voie vers elle, sont connues clairement, comme elles l’auraient été par la persévérance de l’homme dans la révélation «naturelle»; car sur la nature est projetée maintenant la lumière de la Révélation «surnaturelle». C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’affirmation de saint Maxime le Confesseur que la révélation «naturelle» a la même valeur que la Révélation «surnaturelle». Mais il précise que c’est pour les saints. Pour eux, la loi écrite n’est que la loi naturelle contemplée dans les «figures» personnelles de ceux qui l’ont accomplie, et la loi naturelle n’est que la loi écrite vue dans ses sens spirituels. Toutes les deux ne font qu’un, lorsqu’elles sont vues comme conduisant à la grâce de la vie future7. Les vêtements du Christ transfigurés, c’est-à-dire les créatures, se remplissent, eux aussi, de Sa lumière8.
De fait, la Révélation «surnaturelle» a accompagné dès le début la révélation «naturelle», tout d’abord dans la vie des hommes, ensuite, d’une manière spéciale, dans la vie du peuple d’Israël. A Job et à ses partenaires, c’est Dieu lui-même qui montre son œuvre dans la nature (ch. 38, 41). David dit aussi par l’inspiration de Dieu: «Les cieux racontent la gloire de Dieu, le firmament proclame l’œuvre de ses mains» (Ps 18 (19), 1 s.). Et la mère d’un des sept frères Maccabées, auquel on promet de le sauver de la peine de mort s’il rejette la loi, lui dit: «Je te conjure, mon enfant, regarde le ciel et la terre, contemple tout ce qui est en eux et reconnais que Dieu les a créés de ce qui n’était pas, et la race des hommes de la même manière» (2Мак.7:28). Elle l’exhorte à comprendre par la nature que l’homme – créature de Dieu – est fait pour Dieu, car la nature même montre que Dieu existe comme Personne au-dessus de la nature, et que l’homme en tant que créature personnelle est fait pour l’union éternelle avec la Personne suprême et, par là, avec ses semblables. Pour cette union éternelle avec la Personne suprême et avec les personnes de ses semblables, l’homme doit accepter même la mort, à laquelle il ne peut pas échapper, mais qu’il peut seulement retarder.
C’est pourquoi la mère poursuit: «Ne crains pas ce bourreau, mais te montrant digne de tes frères, accepte la mort, afin que je te retrouve avec tes frères au jour de la miséricorde» (2Mак.7:29). Cependant le jeune homme n’acquiert la compréhension de cette foi selon la nature, que parce qu’il connaît la loi de Moïse. Car il répond: «Je n’obéis pas aux ordres du roi, j’obéis aux ordres de la Loi qui a été donnée à nos pères par Moïse» (2Mак.7:30).
Là où la Révélation biblique n’a pas accompagné la révélation cosmique et où celle-ci est restée seule, se sont produits de graves obscurcissements de la foi «naturelle» qui ont donné naissance aux religions païennes. Celles-ci, le plus souvent, ont confondu Dieu et la nature, et sont restées incertaines quant à la persistance de la personne humaine dans l’éternité.
Seule, semble-t-il, la Révélation «surnaturelle», ou une certaine influence de celle-ci, a préservé dans certains cas la foi naturelle des altérations. C’est sous son influence que certains ont saisi par une perception spirituelle plus fine la vérité sur Dieu à partir de la révélation «naturelle», ou même ont été sensibles à la voix de Dieu dans leur conscience et à Sa manifestation dans la nature.
Elihou, un des interlocuteurs de Job, dit: «Ce sont l’esprit de l’homme et l’inspiration du Puissant qui rendent intelligent» (Иов.32:8). 11 y avait aussi chez les Grecs de [’Antiquité des philosophes qui sont arrivés à l’idée monothéiste, mais le dieu connu par eux n’avait pas des caractères personnels aussi nets que le Dieu révélé dans l’Ancien Testament. Cela montre qu’en principe n’est pas exclue une connaissance juste de Dieu et du sens de notre vie par la révélation «naturelle», prise en elle-même, mais ils sont peu nombreux ceux qui la saisissent dans ses points fondamentaux, et jamais ils n’en acquièrent une clarté et une certitude complètes sans une influence de la Révélation «surnaturelle».
Cependant leur attitude subjective, due à leur faiblesse spirituelle, ne peut abolir la révélation objective de Dieu, manifestée dans l’évidence du sens de l’existence, inscrit dans leur être. C’est pourquoi beaucoup de personnes vivent en pratique conformément à ce sens, et lorsqu’elles ne le font pas, elles se sentent coupables. L’apôtre Paul exprime ce fait par les paroles suivantes: «Quand les païens, qui n’ont point la foi, font naturellement ce que prescrit la loi, ils sont, eux qui n’ont point la loi, une loi pour eux-mêmes; ils montrent que l’œuvre de la loi est écrite dans leurs cœurs, leur conscience en rendant témoignage, et leurs pensées s’accusant ou se défendant tour à tour» (Рим.2:14–15).
Dieu se révèle objectivement par la conscience et par la nature; mais subjectivement, ou à cause d’un état de séparation, beaucoup, aussi, s’opposent à Son évidence et au vrai sens de la vie, ou déforment cette évidence. En général, saint Paul affirme aussi bien le fait de la Révélation objective de Dieu dans les cœurs humains et dans la nature, que le refus subjectif de beaucoup d’accepter pareille évidence: «La colère de Dieu se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent la vérité captive de l’injustice, car ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, Dieu le leur ayant fait connaître. En effet, Ses perfections invisibles, Sa puissance éternelle et Sa divinité, sont visibles pour l’intelligence dans Ses œuvres depuis la création du monde; ils sont donc inexcusables» (Рим.1:18–20).
Le fait que ceux qui ne sont pas restés sous l’influence de la Révélation «surnaturelle» ont pu refuser d’une manière si facile la Révélation «naturelle», constitue un affaiblissement de l’évidence objective de Dieu dans cette révélation. Et cela, surtout à cause de la mort, que l’affaiblissement spirituel de l’homme a apportée dans le monde.
C’est pourquoi il a été nécessaire que Dieu recourre à la Révélation «surnaturelle» non seulement comme Parole, dans laquelle Sa personne se manifeste plus clairement, mais aussi par une série d’actes par lesquels II met en évidence Son existence et Ses œuvres, d’une part, et, d’autre part, sensibilise la perception subjective humaine pour Le saisir comme personne et pour saisir le sens de la vie humaine, rendant ainsi plus facile la décision de l’homme de L’accepter par la foi. Par là, la Révélation «surnaturelle» a rendu plus claire et plus sûre la foi «naturelle», mais aussi elle a élargi notre connaissance de Dieu et du sens de notre existence et du monde. De plus, par ses Actes surnaturels, Dieu a montré à la créature consciente la possibilité de se relever de l’état de la nature tombée sous la domination de la mort qui affaiblit la foi de l’homme dans la possibilité de réaliser le sens éternel de son existence. Les actes surnaturels de la Révélation directe de Dieu donnent à la créature consciente l’espoir de s’élever, par la grâce de Dieu et par la liberté, au-dessus de la nature.
Par les paroles de la Révélation «surnaturelle», l’homme a appris ce qu’on peut comprendre de la Révélation «naturelle» désormais éclairée. C’est à travers la nature que la créature consciente voit la toute-puissance de Dieu, Sa bonté, Sa sagesse, en apprenant elle aussi à être bonne, sage, et à tendre vers l’union finale avec Lui. Même la mort – et notre impossibilité de l’accepter – nous apprend à ne pas nous attacher à ce monde et nous montre que nous sommes faits pour exister éternellement. Cependant, l’homme ne connaît la possibilité d’accomplir le sens de sa vie que par les paroles et les actes de la Révélation «surnaturelle»; eux seuls lui montrent qu’il peut échapper à la corruption de la nature; eux seuls ouvrent à l’homme de foi la perspective de ne pas être dissous dans la nature soumise à la corruption de toutes les formes individuelles, ainsi que la possibilité d’être sauvé. Ce sont seulement les dogmes de la foi dans la Révélation «surnaturelle» qui lui assurent la perspective d’une liberté par rapport à la nature dès la vie terrestre et une liberté complète dans l’existence éternelle.
La Révélation «surnaturelle» ne supprime donc pas non plus la nature humaine en tant que nature personnelle, mais la libère de l’état où elle se trouve: de faiblesse et de corruption de son intégrité, pour l’amener à l’éternisation à laquelle l’homme aspire.
Le fait même que ces actes soient accompagnés par des paroles qui, au fond, ne demandent à l’homme qu’une vie qui ne soit pas totalement submergée par le monde, mais orientée vers Dieu, comme le lui demande aussi la Révélation «naturelle», montre que la Révélation biblique ne poursuit que le relèvement de notre nature de son état de chute, et l’accomplissement de son aspiration à la véritable éternité.
Les paroles qui ont très souvent accompagné ces actes n’ont fait que demander à l’homme de travailler de telle manière dans la vie terrestre qu’il devienne apte à la vie éternelle, dont la perspective est ouverte par la Révélation «surnaturelle». Cela, en effet, la loi «naturelle» inscrite dans la conscience l’exigeait aussi. C’est pourquoi, lorsque saint Paul ou saint Maxime le Confesseur parlent de l’égalité de la loi naturelle avec la loi écrite, ils se réfèrent spécialement à l’enseignement moral de l’Ancien Testament, et non pas aux deux modes de révélation de Dieu, d’un côté par les phénomènes de la nature, de l’autre par la parole directe et par des actes surnaturels.
Pour comprendre le fait que la Révélation «surnaturelle», d’une part, s’accomplit par la parole directe et par des actes au-dessus de la nature, et, d’autre part, ne contredit pas la nature et la foi «naturelle», mais les confirme et les achève, il est nécessaire de montrer ce que toutes deux ont en commun et ce qui distingue la Révélation biblique de la nature et de la Révélation de Dieu par celle-ci.
B – Convergence et distinction des deux Révélations
a) Le sens objectif de la Révélation cosmique
Le caractère inséparable des deux modes de Révélation et de leur contenu, partiellement commun9, ne saurait être compris si l’on tient que dans la Révélation cosmique seul l’homme est actif, comme la théologie occidentale nous a habitués à le comprendre.
Le fait qu’on a détaché de Dieu la nature par laquelle Il parle et agit, ou parle en agissant et agit en parlant, a conduit facilement à diverses conceptions qui veulent expliquer le monde exclusivement sur la base d’une réalité immanente. Mais la Révélation cosmique est inséparable de la Révélation «surnaturelle», et le croyant se sent par elle aussi dans un lien immédiat avec Dieu. Ceci ne vaut que si Dieu se manifeste continuellement par la première, parlant et agissant sans cesse par toutes les choses et leurs relations et par les pensées qu’il apporte ainsi dans la conscience humaine, conduisant de cette manière l’homme à la réalisation du sens de son existence dans l’union éternelle avec Lui.
En fait, Dieu parle et agit continuellement par les êtres et les choses, par la création de circonstances toujours nouvelles à travers lesquelles Il appelle chaque homme à s’unir à Lui et à ses semblables et répond à chaque instant aux appels de l’homme. Œuvres et circonstances sont autant de pensées (logoï) de Dieu manifestées, et par conséquent, autant de paroles incorporées. Cependant Dieu nous parle surtout par les pensées qu’il suscite dans notre conscience lorsque nous voulons ou devons faire quelque chose; ou bien, après que nous avons fait quelque chose de mal, à travers remords, tribulations et maladies. Par tout cela, Dieu nous conduit, comme par un dialogue continu, vers notre perfection.
Les Psaumes remarquent souvent les paroles de Dieu à travers la splendeur de la nature, mais aussi à travers les diverses tribulations ou joies que connaît l’homme dans sa vie. Pour le premier mode d’expression, citons: «Les cieux racontent la gloire de Dieu, le firmament proclame l’œuvre de ses mains. Le jour dit10 au jour la parole et la nuit annonce connaissance à la nuit. Il n’y a pas de récits ni de mots dont le son ne s’entende. Leur message éclate pour toute la terre et leurs mots jusqu’aux limites du monde» (Пс.18:1–4).
Quant à l’expression par des tribulations et par le secours divin, citons: «Seigneur mon Dieu, j’ai crié vers toi et tu m’as guéri; Seigneur, tu as tiré mon âme de l’enfer, tu m’as fait revivre loin de ceux qui descendent dans la fosse» (Пс.29:2–3).
Elihou décrit d’abord le parler de Dieu dans la conscience de l’homme à travers les tribulations et les douleurs, et ensuite son parler à travers les choses: «Dieu parle d’une façon et puis d’une autre, mais l’homme n’y prend pas garde: Il parle par le songe, par des visions nocturnes, lorsqu’une torpeur s’abat sur les humains et qu’ils sont endormis sur leur couche, alors Il parle à l’oreille des hommes, et les épouvante par ses apparitions, afin de détourner l’homme de ses œuvres (mauvaises) et d’éviter l’orgueil, pour préserver son âme de la fosse et sa vie du détroit souterrain.
«C’est pourquoi Il le réprimande dans son lit par la douleur, quand ses os tremblent sans arrêt, quand sa vie prend en dégoût la nourriture et son appétit les friandises, quand sa chair se consume et dépérit à vue d’œil et ses os qu’on ne voyait pas deviennent saillants ; son âme approche de la fosse et sa vie du séjour des morts [...] Mais il prie Dieu et Dieu lui montre sa bonté et lui permet de voir Sa face dans l’allégresse, et ainsi Il accorde à l’homme son pardon» (Иов.33:14–26).
L’attitude de Dieu comme personne envers nous se montre parfois même dans son refus de répondre. Peut- être que l’affaiblissement de l’évidence de la présence et de l’agir de Dieu dans la nature et la conscience de l’homme est dû aussi à Son refus de répondre à ceux qui ne l’invoquent pas de tout leur cœur. Elihou poursuit: «Alors on crie, mais Dieu ne répond pas, à cause de l’orgueil des méchants. Leur effort est vain. Dieu n’entend pas, le Tout-Puissant ne perçoit pas» (Иов.35:12–13).
La Révélation «naturelle» s’accomplit objectivement en tout temps et en tout lieu; elle s’adresse à chacun. Elle aide ceux qui la reconnaissent à progresser vers la vie éternelle et à s’ouvrir à la lumière de la Révélation «surnaturelle».
b) La Révélation biblique comme illumination de la Révélation cosmique
La Révélation biblique précise le but de la Révélation «naturelle» et les modalités de sa réalisation.
A la lumière de la Révélation biblique, les chrétiens voient comment Dieu les conduit par les choses, les circonstances, les bons et mauvais événements de leur vie, par la voix de leur conscience ou par leurs pensées, vers une communion toujours plus profonde avec Lui. Ils savent que cette communion se réalise pleinement dans le Christ qui est venu réellement parmi nous: c’est en Christ qu’à été posé le sûr fondement de l’union plénière entre Dieu et l’homme.
Les chrétiens voient comment la Révélation cosmique est précisée et complétée par la Révélation biblique qui culmine dans le Christ. Toutes deux conduisent vers Dieu comme but final et éternel.
Par la Révélation «naturelle», Dieu conduit l’homme qui croit en Lui vers l’union avec Lui par le parler indirect à travers les choses, en se servant des diverses circonstances, problèmes, douleurs, difficultés, ainsi que des pensées suscitées dans sa conscience. Et par la Révélation biblique, Dieu apporte dans la conscience du croyant, d’une manière directe, des paroles et des actes qui mettent en évidence Sa personne, non pas agissant par la nature, mais par un dialogue et une action qui rendent plus claire sa présence personnelle elle-même. Par là, Dieu entre en communion directe et évidente avec le croyant, et ce fait convainc celui-ci de l’existence de Dieu et satisfait sa soif de communion avec la Personne infinie, en l’assurant en même temps qu’il n’est pas abandonné à des forces aveugles qui le conduisent à la disparition, mais qu’il est en pleine relation avec la Personne suprême, qui le conduira vers son éternisation dans une communion parfaite avec Elle.
c) La Révélation biblique comme mise en évidence plus directe de Dieu
Cette affirmation plus directe de la Personne divine se montre dans le fait que Dieu choisit comme porte-parole conscients des personnes auxquelles Il se révèle en parlant, afin qu’elles communiquent à d’autres sa Révélation. Dans la Révélation «naturelle» chacun connaît Dieu à travers les choses, les circonstances et les événements. Mais la communication avec Dieu n’apparaît pas dans une évidence suffisante. Les choses s’interposent trop entre la personne humaine et Dieu, mettant en péril leur communion.
Dans la Révélation biblique Dieu se fait connaître d’une manière claire en tant que Personne, car Il appelle et envoie des personnes déterminées à une collectivité humaine. Par là, Dieu, d’une part, confirme l’évidence que nous pressentons en ce qui concerne l’accomplissement de notre existence dans l’union avec Lui, et d’autre part, Il révèle à l’homme que cette union ne se réalise pas et ne se prépare pas d’une manière isolée, mais dans la solidarité de chacun avec ses semblables; c’est pourquoi cette préparation se fait par le message d’une personne qui attire l’attention de tous. Dieu veut sauver par la Révélation «surnaturelle» non des individus isolés, mais la grande multitude des fidèles dans une responsabilité réciproque et commune, car tous doivent s’aider dans le cheminement vers la perfection et la vie éternelle, et doivent affermir leur communion fondée sur la communion avec Dieu.
En fait, la communion entre eux fait partie intégrante de leur propre accomplissement.
d) La Révélation biblique par des actes
Pour se mettre davantage en évidence comme Personne supérieure à la nature et capable de nous sauver de l’esclavage de celle-ci, Dieu se fait aussi connaître par des actes surnaturels qui ne peuvent être réduits à des phénomènes de la nature. Ces actes constituent une autre série de paroles incorporées, supérieures à celles qui le sont dans les choses et dans les phénomènes de la nature. Par conséquence, ils ne se produisent pas continuellement, car dans ce cas ils pourraient apparaître comme semblables aux phénomènes naturels, qui se répètent. Ils sont non seulement surnaturels, mais aussi extraordinaires. Cependant ils s’inscrivent, avec les enseignements qui les accompagnent, dans une suite ascendante de manifestations toujours plus évidentes de Dieu, Lequel prépare progressivement la nature humaine à atteindre la communion avec Lui, une communion victorieuse de la mort.
e) Les actes de la Révélation dans l’Ancien et le Nouveau Testament
Dans l’Ancien Testament, au début de la formation du peuple d’Israël, les actes de Révélation se réfèrent surtout à la nature, mais dans une perspective historique, pour consolider ce peuple dans la certitude d’être guidé par un Dieu qui est justement au-delà de la nature.
Après que cette foi fut unifiée et renforcée, aux temps des prophètes, Dieu agit sur les âmes davantage par Ses paroles, afin de les élever vers Lui. Mais Il ne renonce pas totalement aux actes surnaturels. Dans la Personne du Christ, ces actes se réfèrent surtout à la nature humaine et correspondent à l’élévation spirituelle de celle-ci; ils indiquent l’action de l’Esprit, ils manifestent le niveau spirituel maximum auquel est élevée la nature humaine dans le Christ et la perspective que Dieu ouvre à tous ceux qui s’unissent au Christ.
f) Les actes surnaturels et l’élévation spirituelle suprême de la nature humaine dans le Christ
La ligne des actes surnaturels et la ligne de la spiritualité ne se rencontrent pas dans le Christ comme deux hauteurs parallèles. C’est précisément l’existence du Christ dans l’Esprit qui porte en elle la force de l’emporter sur les automatismes mortels de la nature. Le dépassement de ces automatismes répétitifs ne se produit pas par une abolition externe, comme dans la mythologie, il actualise la puissance supérieure de l’Esprit, qui l’emporte sur la nature, sans la supprimer. Un certain protestantisme, pour lequel la spiritualité a moins d’importance, a fini par ne plus comprendre les actes surnaturels de la vie du Christ, et les a déclarés mythiques. Cela a conduit logiquement à la nécessité de la démythisation.
Expliqués par la force la plus haute de l’Esprit, les actes surnaturels relatifs à la Personne du Christ, comme Sa naissance surnaturelle et Sa résurrection, ne suppriment pas la nature prise de l’humanité avec son accord, mais la conduisent au sommet de son accomplissement, car elle a comme composante supérieure l’esprit qui tend naturellement vers sa pleine actualisation par l’Esprit divin. C’est pourquoi la nature humaine du Christ reste dans une existence éternelle. C’est pourquoi les actes surnaturels relatifs à Sa nature humaine, et au premier rang la Résurrection, sont surtout des actes de rétablissement de cette nature et de la nature du monde en général. En même temps, l’incarnation du Christ représente aussi bien la «descente» de Dieu pour sa communion parfaite avec l’humanité que l’élévation suprême de celle-ci. «Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu.»
Tant par le dépassement des lois d’une nature déchue que par l’actualisation complète de la vraie nature humaine créée pour être «pneumatisée» et communier avec Dieu, Personne absolue non assujettie aux automatismes de la nature, le Christ est devenu les prémices de tous ceux qui croient en Lui. Ses paroles, exprimant Son état d’homme parfait, ont pour but elles aussi de nous aider à atteindre un niveau spirituel semblable au Sien, conforme à Son état de résurrection. Car en Lui se montre le lien parfait entre le niveau spirituel le plus haut et le dépassement des lois de la nature qui mènent à la mort. La Résurrection est l’effet du niveau spirituel suprême atteint par l’humanité du Christ dans l’union avec la divinité.
g) Les actes surnaturels du Christ et le progrès de la Révélation
Dieu recourt aux actes surnaturels extraordinaires, surtout au commencement de nouvelles étapes dans l’histoire du salut. Il a recouru à eux aux temps des patriarches, de Moïse, de Josué fils de Noun, d’Élie, dans les moments principaux de la constitution et de la défense du peuple d’Israël comme porteur du message du salut. Mais l’époque vraiment nouvelle et ultime est inaugurée par les actes surnaturels extraordinaires de Jésus-Christ, par lesquels se constitue de partout le peuple de Dieu qui avance vers l’assimilation de tout ce qui est donné à l’humain dans le Christ, vers la participation à Dieu par la communion directe et totale avec le Verbe incarné.
Si tous les actes surnaturels extraordinaires de la Révélation sont des actes de grande importance dans l’histoire de notre salut, nous conduisant vers le but final, les actes surnaturels accomplis avec notre nature humaine dans le Christ mettent celle-ci dans la lumière immédiate de son accomplissement.
Bien sûr, l’histoire du salut n’est pas faite seulement des actes surnaturels, car eux aussi ne sont pas ininterrompus, comme ne l’est pas non plus la Révélation surnaturelle de Dieu. Cependant ces actes forment une suite spirituelle ascendante et, dans ce sens, une histoire, qui représente l’histoire du salut. Mais entre eux se tisse le vécu des croyants dont la foi se nourrit des paroles et des actes surnaturels de la Révélation. Ainsi chaque étape de la Révélation porte en elle la force de propulser la vie spirituelle de notre nature jusqu’à un niveau qui la rend capable d’entrer dans une nouvelle période, inaugurée par une série de nouveaux actes surnaturels et extraordinaires, ainsi que par les paroles d’une connaissance et d’une vie supérieures.
Les actes accomplis à l’égard de certaines choses ou forces de la nature, mises au service de ceux qui croient, rendent plus évidentes non seulement les paroles directes de la Révélation «surnaturelle», mais aussi les paroles de Dieu à travers la nature.
Ils font voir que toute la nature est appelée à devenir un milieu plus transparent par lequel se manifeste la personne, un milieu rempli par l’esprit des personnes en communion.
Dans les périodes situées entre les actes surnaturels, l’humanité vit non seulement de la lumière des actes surnaturels antérieurs et des paroles qui les accompagnent, mais de la Révélation «naturelle» quotidienne, qui elle aussi a un mouvement historique, éclairé par ces actes et ces paroles.
Ainsi toute l’histoire du salut est guidée, éclairée et affermie par la Révélation divine. Cela ne signifie pas cependant qu’elle est constituée seulement des actes et des paroles de cette Révélation, elle est constituée aussi de nos réponses. Notre sensibilité envers ces actes et ces paroles, ainsi que notre capacité de leur répondre sont beaucoup et souvent affaiblies et interrompues par le péché. Mais le péché aussi se ressent, à certains égards, du niveau de connaissance et de finesse spirituelles auquel est arrivée l’humanité par la Révélation. Le péché peut prendre des formes plus raffinées. Ainsi, le monde est porté en avant par la Révélation, tant dans le bien que dans le mal. Chacun de ceux-ci sert l’autre d’une certaine manière.
h) Le caractère prophétique de la Révélation
Tant par les périodes nouvelles qu’ils inaugurent que par les perspectives qu’ils ouvrent sur le but final, les actes de la Révélation «surnaturelle» et les paroles qui les expliquent ont un caractère prophétique. La prophétie n’est pas seulement un critère externe par lequel on prouve un fait de la Révélation «surnaturelle», mais elle fait partie de son essence.
Ainsi la Révélation confirme et soutient notre avancée. Et même dans son mouvement naturel la création est animée d’une aspiration prophétique. C’est le mouvement de la Révélation «naturelle» vers le but final. C’est dire que la Révélation même a un dynamisme prophétique. Mais notre marche en avant, en vertu de la Révélation «naturelle», vers le but final, ne serait pas possible sans les lumières et l’aide de la Révélation «surnaturelle», étant donné le péché qui grève notre nature humaine. Toutefois la Révélation «surnaturelle» de son côté ne peut se dispenser de l’aspiration naturelle de la création et de sa capacité à sentir l’inspiration divine.
Ainsi, les actes et les paroles de Dieu dans les deux modes de Révélation s’inscrivent dans le même dessein divin – celui de la déification du créé.
i) L’accomplissement du plan du salut dans le Christ
Le Christ représente l’étape ultime de la Révélation «surnaturelle» et l’accomplissement de son dessein. De Lui irradie la force de l’accomplissement de ce dessein pour toute la création, pour l’univers entier. C’est pourquoi la période d’après le Christ est l’étape ultime de l’histoire du salut. L’histoire dans sa totalité est l’avancement dans la réalisation de ce plan, mais l’achèvement de cette réalisation se fait au-delà de l’histoire, dans le siècle futur. La période qui précède cet achèvement est propulsée par le Christ, qui attire tout vers la perfection éternelle à laquelle Il a conduit notre nature.
Ainsi le Christ représente le sommet de la Révélation «surnaturelle», la confirmation plénière et l’éclairement du sens de notre existence par l’accomplissement de cette existence en Lui, en qui se réalise notre union totale avec Dieu. Et simultanément il se confirme que l’absolu auquel nous aspirons n’a pas un caractère impersonnel, mais est une Personne. C’est en entrant en communion avec cette Personne que nous participons à l’Absolu. Nous sommes appelés à devenir chacun un absolu selon la grâce, par la participation à cet Absolu qui est personnel par nature. L’Absolu personnel par nature veut que la personne humaine communie à lui dans la mesure même où II se fait homme. La personne consciente est déjà à sa création un absolu virtuel, par une certaine participation. C’est pourquoi on ne peut pas la négliger. Notre personne ne participe pas à l’Absolu en s’annulant, mais parce qu’elle reste pleinement humaine, et se trouve confirmée dans cette qualité. L’incarnation de Dieu qui devient homme accomplit notre plus haute aspiration. C’est pourquoi au-delà de l’incarnation et de la Résurrection du Fils de Dieu en tant qu’homme il n’est plus possible d’avoir d’autres actes essentiellement nouveaux de Révélation. L’histoire du salut a maintenant pour but d’offrir à ceux qui croient la capacité d’une participation parfaite à l’Absolu, avec le Christ et dans le Christ.
C – L’œuvre du verbe de Dieu et de l’Esprit Saint dans le déroulement de la Révélation divine
Le progrès dans l’histoire du salut, déterminé par la Révélation, est un progrès dans la connaissance et la réalisation du sens de notre existence comme communion directe et parfaite avec l’Absolu personnel et, en Lui, avec toutes les personnes de nos semblables; c’est un progrès dans la connaissance et la réalisation du plan de salut de Dieu.
En correspondance avec cela, la Révélation est l’œuvre du Fils et du Verbe de Dieu à l’image duquel est créé l’homme, car le Fils a Lui aussi son origine dans le Père et répond à Son appel; cependant la Révélation est aussi l’œuvre du Saint-Esprit qui nous spiritualise continuellement, en nous fortifiant dans une liberté aimante, hors des automatismes de la nature. Le progrès dans la ressemblance de l’homme croyant avec le Fils et Verbe de Dieu se réalise parce que Lui-même nous devient, par l’histoire de la Révélation, toujours plus proche. Ensuite, assumant Lui-même notre image, pour la refaire en l’unissant à Lui en tant que modèle, Il nous élève jusqu’à notre accomplissement par la résurrection et l’ascension de notre humanité assumée par Lui et qui devient le fondement de notre résurrection et de notre ascension. En même temps, c’est un progrès dans notre «pneumatisation», sans laquelle nous ne pouvons pas ressusciter. Cette collaboration du Verbe de Dieu et de l’Esprit Saint peut être remarquée d’abord dans la Révélation jusqu’à son achèvement dans le Christ, et ensuite dans l’Église, l’Écriture et la Tradition. En particulier, le rôle décisif du Saint-Esprit dans la réalisation de la Révélation montre que la manifestation du Verbe comme sens suprême de l’existence et Son incarnation sont solidaires de la «pneumatisation» de notre nature, effectuée par l’Esprit Saint, et progressent ensemble.
Le Verbe de Dieu qui, par la Révélation de l’Ancien Testament nous prépare à Le recevoir, et qui ensuite se fait homme, ressuscite et nous attire nous aussi à la résurrection, Se révèle en tant que sens plénier de notre existence, plein Lui-même d’une force lumineuse qui nous attire. Notre résurrection dans le Christ est ainsi le but de la Révélation et de tout le devenir du monde. Or, c’est l’Esprit Saint qui apporte en nous ce sens, et nous donne la capacité de nous imprégner de lui. Saint Athanase d’Alexandrie écrit: «Le Logos a assumé la chair, afin que nous recevions l’Esprit Saint. Dieu s’est fait porteur de la chair, afin que l’homme puisse devenir porteur de l’Esprit11.» Saint Syméon le Nouveau Théologien considère que le but de toute l’œuvre de notre salut par le Christ est de recevoir l’Esprit Saint. A son tour, Nicolas Cabasilas dit: «Quel est l’effet et le résultat des actes du Christ ?... Il n’y en a pas d’autre que la descente du Saint-Esprit sur l’Église12.» Le Sauveur lui-même a dit: «... c’est votre avantage que je m’en aille... [...] Je prierai le Père, et Il vous donnera un autre Consolateur, afin qu’il demeure éternellement avec vous» (Ин.16:7, 14–16).
Le Verbe et le Saint-Esprit sont les deux Personnes qui effectuent ensemble et actualisent solidairement toute la Révélation et sa force transformante jusqu’à la fin du monde. Ils sont, selon l’expression de saint Irénée, les «deux mains du Père». Ensemble, Elles rendent manifeste le Père d’une manière progressive: «Le resplendissement de la Trinité rayonne progressivement13.» Entre le Logos et l’Esprit Saint, il y a une réciprocité continue quant à cette manifestation et tous deux accomplissent ensemble la Révélation du Père et la «pneumatisation» de l’univers. Au Logos ne manque jamais l’Esprit, qui nous rend capables de recevoir le Verbe, ni à l’Esprit Saint, le Logos, auquel Il nous unit de plus en plus. Cependant chacun d’eux a un rôle propre dans l’action révélatrice, conformément à Sa position dans la vie même de la Trinité. C’est pourquoi Ils sont toujours ensemble. De même que dans la Trinité, l’Esprit Saint repose sur le Fils et resplendit de Lui14, qu’il montre au Père le Fils, et que le Fils montre au Père l’Esprit, qu’il existe donc entre Eux une réciprocité15, de même dans la Révélation et dans son efficience ultérieure, le Fils envoie dans notre profondeur la plus personnelle l’Esprit, et l’Esprit envoie le Fils, le montre à notre vie spirituelle, et l’imprime en nous. Le Bienheureux Augustin dit: «Ne pensons pas que le Fils ait été envoyé de telle manière par le Père, qu’il n’ait pas été envoyé aussi par l’Esprit Saint16.» Et saint Ambroise: «Le Père avec le Fils envoient l’Esprit17.» Dieu vient à nous dans la plénitude de la communion trinitaire, pour imprimer en nous cet état, cet élan de la communion. L’œuvre révélatrice commune et complémentaire du Fils et du Saint-Esprit a un développement. Paul Evdokimov voit ce développement comme une alternance des œuvres toujours plus manifestes de l’Esprit et du Verbe. Dans l’Ancien Testament, l’Esprit Saint a préparé l’avènement du Verbe dans la chair, et Celui-ci, une fois venu dans la éhair, a préparé la venue de l’Esprit, qui à son tour préparera jusqu’à la fin du monde le deuxième avènement, dans la gloire, du Verbe incarné, ressuscité et «monté au ciel». «Par la bouche des prophètes, tout l’Ancien Testament est la Pentecôte préliminaire en vue de l’avènement de la Vierge et de son fiat18.»
Ensuite, «la Pentecôte apparaît comme la fin ultime de l’économie trinitaire du salut. En suivant les Pères, on peut même dire que le Christ est le grand Précurseur de l’Esprit Saint19 ». D’autre part, Evdokimov observe que l’Esprit Saint et le Logos sont toujours ensemble, mais dans telle période l’Un se trouve au premier plan, et, dans une autre période, l’Autre: «Pendant la mission terrestre du Christ, la relation des hommes à l’Esprit Saint ne s’opérait que par et dans le Christ. Par contre, après la Pentecôte, c’est la relation au Christ qui ne s’opère que par et dans l’Esprit Saint. L’Ascension supprime la visibilité historique du Christ. Mais la Pentecôte restitue au monde sa présence intériorisée et le révèle maintenant non pas devant mais au-dedans de ses disciples20.»
Dans l’Ancien Testament, la parole de Dieu est encore une parole dont les effets spirituels sont restreints et atteignent peu les profondeurs spirituelles de l’homme, et cela à cause du niveau réduit de la sensibilité spirituelle de celui-ci. C’est pourquoi la puissance de Dieu se manifestait non seulement par la parole, mais aussi par des actes qui accompagnaient la parole extérieurement, car ils impressionnaient davantage le peuple.
Lorsque Moïse reçoit la Loi sur le Sinaï, c’est-à-dire la parole concentrée de Dieu, «toute la montagne n’était que fumée, parce que le Seigneur y était descendu dans le feu; sa fumée monta comme la fumée d’une fournaise, et toute la montagne trembla violemment» (Исх.19:18). Ce qui, d’une part, manifestait la présence de Dieu à ceux qui attendaient Moïse, et, d’autre part, mettait comme un voile entre eux et Dieu. Il en était de même ensuite: «Quand Moïse entrait dans la tente, la colonne de nuée descendait, se tenait à l’entrée de la tente et Dieu s’entretenait avec Moïse» (Исх.33:9).
Sur le Verbe, ou sur Moïse qui le représentait, subsistait un voile, et il en fut ainsi jusqu’au moment de l’incarnation. Dans l’Ancien Testament, l’Esprit ne rayonnait que rarement d’une manière manifeste, le Verbe devait agir sur des sujets humains insuffisamment préparés du point de vue spirituel, et il le faisait sous le voile de la Loi. C’est pourquoi le Verbe les impressionnait, parallèlement, par des actes de puissance. Même la gloire de Dieu se montrait à eux en quelque sorte extérieurement.
Saint Paul le remarque: «Ayant donc une pareille espérance, nous nous comportons avec beaucoup d’assurance, et non comme Moïse, qui se mettait un voile sur le visage pour éviter que les enfants d’Israël ne voient la fin d’un éclat passager. Mais leur intelligence s’est obscurcie! Car jusqu’à ce jour lorsqu’on lit l’Ancien Testament, ce même voile demeure. Il n’est point levé ; car c’est en Christ qu’il disparaît. Oui, jusqu’à ce jour, lors de la lecture de Moïse, un voile est sur leur cœur. Mais lorsque les cœurs se convertissent au Seigneur, le voile est ôté» (2Кор.3:12–16).
Toutefois, dans les personnes de l’Ancien Testament qui avaient une sensibilité spirituelle plus grande, l’Esprit rayonnait aussi de la Parole. Ainsi, ce n’était pas seulement l’Esprit Saint qui préparait les hommes à l’incarnation de la Parole, mais le Verbe lui-même (qui préparait, par l’Esprit, Son avènement dans la chair. Et après l’Ascension, c’est toujours Lui qui prépare, par l’Esprit qui rayonne de Lui, Son avènement futur dans la gloire.
«De même qu’avant son avènement visible dans la chair, le Logos de Dieu venait spirituellement chez les patriarches et les prophètes, en préfigurant les mystères de Son avènement, de même et après cette venue Il vient non seulement dans ceux qui sont des enfants, qu’il nourrit spirituellement et conduit à la perfection selon Dieu, mais aussi dans les parfaits en leur indiquant d’avance, secrètement, comme dans une icône, le mode de Son avènement futur21.»
Dans l’Ancien Testament, au fur et à mesure qu’apparaissent des hommes plus aptes à recevoir l’Esprit, grâce à leur préparation par la Loi, l’action de l’Esprit rayonne, à partir de la Parole divine, plus intensément en eux. La Parole elle-même qui Se communique à eux est davantage remplie de l’Esprit. Ainsi les hommes sont préparés à l’inhabitation totale de l’Esprit du Fils dans la nature humaine, inhabitation qui se fait par l’incarnation du Fils.
Cet événement survient lorsque les hommes sont déjà préparés pour sentir le rayonnement de l’Esprit à travers la nature humaine assumée par le Verbe, quand cette nature reçoit l’Esprit par toute sa sensibilité, et l’irradie vers les autres hommes. C’est de l’être humain que l’Esprit Saint fait maintenant, ensemble avec la Parole de Dieu, Son centre d’action et de rayonnement. Désormais passe au premier plan son rôle vraiment spécifique, celui de sanctification et déification des êtres humains. L’esprit humain se découvre maintenant comme ayant la plus grande conformité potentielle avec l’Esprit Saint.
Le retour complet de l’Esprit Saint dans l’être humain se fait dans le Christ, parce qu’en Celui-ci, l’hypostase même du Verbe divin devient l’hypostase de la nature humaine, et nous manifeste celle-ci capable de l’union la plus haute avec Dieu. Dès maintenant, l’Esprit Saint a Son centre d’irradiation dans la Parole devenue homme, ou dans l’homme qui est aussi Dieu.
Cela représente la plus haute «pneumatisation» de l’être humain.
Et le résultat plénier de l’œuvre de l’Esprit dans l’humanité du Christ, c’est la Résurrection de Celui-ci. C’est pourquoi, du Christ ressuscité rayonne toute la force de l’Esprit.
Avant que le Christ ne fût ressuscité, l’Esprit Saint rayonnait de Lui en quelque sorte secrètement, comme Il le faisait aussi de la parole de l’Ancien Testament. Mais le Christ Lui-même sentait en Soi toute l’action de l’Esprit, puisqu’elle est propre à leur nature commune. Dans une certaine mesure, cette action était sentie aussi par Ses disciples et par tous ceux qui étaient proches de Lui. Mais pour les autres, l’Esprit continuait de rester caché. Pourtant, ceux qui avaient des yeux pour voir et des oreilles pour entendre ont senti l’Esprit rayonnant de Lui plus intensément que ne le sentait le peuple d’Israël chez Moïse et dans les prophètes de l’Ancien Testament.
Mais à partir de la Résurrection, l’Esprit remplit le corps du Christ et depuis la Pentecôte ceux qui croient en Christ reçoivent la puissance parfaite de l’Esprit irradiant du Christ. Cependant ils ne voient pas le Corps de celui-ci, car leurs yeux ne sont pas encore transfigurés. Mais lorsqu’ils seront ressuscités et devenus entièrement lumière, leur corps étant lui aussi rempli par l’Esprit, ils connaîtront le corps du Christ par la sensibilité «pneumatisée» de leur propre corps. Ils le saisiront comme un Corps entièrement «pneumatisé», devenu l’instrument entièrement transparent de l’Esprit.
Par conséquent il ne s’agit pas d’une alternance entre la présence directe et indirecte du Fils et du Saint-Esprit, mais du progrès de notre «pneumatisation» en même temps que de celui de la Révélation. La Révélation culmine dans la descente de l’Esprit Saint lors de la Pentecôte, car cette descente est fonction de la Résurrection et de l’Ascension du Christ dans la chair, comme «pneumatisation» suprême de celle-ci. Alors les effets de la Révélation commencent à s’appliquer à nous comme notre intégration à la résurrection et à l’ascension corporelles par l’Esprit du Christ ressuscité et monté au ciel, c’est-à-dire non seulement par l’Esprit, mais aussi par le Christ lui-même.
Dans la Résurrection du Christ, ou dans Son corps devenu transparent par l’Esprit et pour l’Esprit, il nous est révélé pour quelle fin a été créé le monde; et dans notre résurrection finale, lorsque nos corps seront pleinement transparents à l’Esprit, par une union parfaite avec le Christ, cet état sera réalisé pour toute la création.
Cela montre que la Révélation ne réside pas tellement dans le dévoilement d’une somme de connaissances théoriques sur un Dieu enfermé dans Sa transcendance, mais dans Sa venue vers l’homme et l’élévation de l’homme à Lui, jusqu’à réalisation de l’union suprême dans le Christ, offerte à tous les hommes. Les connaissances données dans la Révélation concernent cette «descente» de Dieu et cette élévation de l’homme. Les paroles traduisent cette action de Dieu; en même temps, elles nous exhortent à collaborer afin que cette union se fasse aussi entre chacun d’entre nous et Dieu. Car l’union plénière de Dieu avec l’homme ne se fait pas sans que celui-ci n’y collabore librement.
La Révélation se produit donc par des actes et des paroles, par lumière et puissance; elle est action éclairante et lumière transformatrice pour celui qui croit. Elle dévoile non seulement ce que Dieu fait pour l’homme, mais aussi ce que l’homme deviendra par l’action de Dieu et par sa propre collaboration; la Révélation montre aussi le sens et le but de l’existence humaine, ou l’état auquel nous sommes destinés et qui constitue notre accomplissement.
C’est pourquoi la Révélation réside non seulement dans le rappel des actes réalisés par Dieu et dans leur interprétation, mais aussi dans l’anticipation et la description du but final de la création, dont les prémices ont été posées par les actes qu’il a accomplis.
La Révélation a donc aussi un caractère prophétique, eschatologique. Cependant, dans la Révélation, Dieu prophétise ce but de la création, non par un savoir objectif et pour nous passif, mais par l’appel à notre libre collaboration.
Les actes de puissance et les paroles de Dieu comprises dans la Révélation exercent leur effet jusqu’à l’accomplissement complet de leur but. La Révélation demeure active, et en elle s’exprime aussi cette force qui la continue. En se révélant comme facteur actif de salut, Dieu prophétise en même temps comment il conduira la création à son accomplissement par des actes, ou, pour mieux s’exprimer, par les états dynamiques qu’il a réalisés dans le Christ et qui sont désormais ses actions permanentes. Dans la Révélation, Il se présente aussi comme le Prophète qui réalisera Sa prophétie.
Le Christ est le Prophète suprême. En ce sens, la Révélation reste active, bien que d’autre part son contenu soit achevé: en elle a été posée la base dynamique de tout ce qui adviendra par la suite et a été indiqué tout ce qui sera accompli. Le même Dieu qui avait été à l’œuvre au cours de la Révélation le sera aussi par la suite. Le Fils de Dieu, à la fin de la Révélation, s’est approché de nous au maximum, par l’incarnation, il est devenu, par sa Résurrection dans la chair, le lieu de notre suprême métamorphose par l’Esprit Saint, afin que nous accédions nous aussi au même état; il reste dans cette proximité et cette force transformatrice suprême envers tout le créé.
Le Verbe, sens de tout le créé, est devenu, par l’incarnation, la Résurrection et la descente de l’Esprit Saint, intérieur à tout le créé, le conduisant par l’Esprit vers ce qu’il doit devenir, et révélant en même temps en Lui-même l’accomplissement de toutes choses.
Le Christ continue de demeurer et d’agir dans la création en se servant de trois moyens concrets et inséparables: l’Église, l’Ecriture et la Tradition.
Chapitre III. Le Christ et l’Esprit Saint au service de la Révélation dans le mystère de l’Église
La Révélation «surnaturelle» s’est achevée dans le Christ. Car c’est en Lui que le plan de salut et de déification de la création est arrivé à son accomplissement. Ce plan ne peut aller au-delà du Christ. Dieu ne peut venir plus près de l’homme qu’il ne l’a fait en Christ. L’union entre Dieu et l’homme ne peut aller plus loin. Nous ne pouvons pas atteindre un accomplissement plus grand que celui qui s’est réalisé dans le Christ.
Mais cela ne signifie pas que – par son contenu même – la Révélation ne puisse rester active par la suite. Comme Dieu qui s’est approché de nous au maximum, comme homme élevé au suprême degré de son humanité par l’union hypostatique avec Dieu, comme ultime accomplissement du dessein divin, le Christ commence à nous communiquer l’état réalisé en Lui.
Cet état en effet a un caractère dynamique. En tant que Dieu, le Christ veut réaliser dans son humanité l’unité avec tous les hommes, tout en maintenant l’identité personnelle de chacun. Il veut ainsi conduire chacun au plus grand accomplissement humain, Il veut donner une extension maximale au plan divin déjà accompli en Lui.
Cependant Il reste au-dessus de tous. Car Il n’est pas une personne humaine qui aurait eu besoin d’être sauvée et, dans ce but, aurait été unie à Dieu. Il a assumé la nature humaine dans Sa propre Hypostase divine, pour faire d’elle le milieu fondamental dans lequel la déification se communique à tous les hommes.
Et c’est précisément ainsi que le Christ peut réaliser cette oeuvre de salut et de déification de tous, comme n’aurait pu le faire aucun homme. Il n’est pas une personne humaine unie à la Personne divine, car dans ce cas, en communiant avec lui, on ne le ferait pas avec Dieu même. Il est la Personne divine qui, incarnée, rend possible, par la communion à son humanité, la communion de tous avec Dieu même, c’est-à-dire avec la Personne absolue. Il est le centre et le fondement de l’action par laquelle le salut et la déification passent à tous ceux qui croient.
Et l’action par laquelle ce plan prend son extension, le Christ ne cesse de la réaliser par l’Esprit Saint. C’est par l’Esprit Saint qu’il a communiqué la Révélation et a créé et soutenu le peuple d’Israël dans l’étape de préparation. C’est aussi par l’Esprit Saint que se maintient dans son efficacité ininterrompue la Révélation achevée, par la fondation et le développement d’une communauté supérieure et universelle: l’Église. L’Église est le dialogue de Dieu avec les croyants par le Christ et dans l’Esprit Saint. Le dialogue commencé de loin par le Verbe avant l’incarnation devient, par celle-ci, un dialogue intérieur et ne cesse de s’élargir par l’Église. Ainsi l’Église est la Révélation surnaturelle, achevée en Christ, dans sa force transformante à travers le temps, par l’Esprit Saint; c’est la Révélation surnaturelle, arrivée à sa plénitude dans le Christ, et qui s’étend et féconde les existences de ceux qui croient. L’Église est le Christ uni dans l’Esprit Saint à ceux qui croient, dans lesquels et par lesquels s’élargit Son effort pour attirer les hommes à Lui. Les fidèles, par la sensibilité que produit en eux l’Esprit Saint dans l’Église, prennent conscience de la puissance du Christ dans lequel est accomplie la Révélation entière, et donc de l’action en eux de cette Révélation.
Cependant ils ne découvrent pas une révélation nouvelle ou un supplément de révélation par rapport à celle qui s’est accomplie dans le Christ. La Révélation continue d’être active par l’Esprit Saint, dans et par l’Eglise, mais elle ne se complète pas d’éléments nouveaux. Elle est complète dans le Christ et c’est de Lui et en Lui qu’elle agit en plénitude dans et par l’Église sur les êtres conscients en qui s’éveille la foi. Sa lumière et sa puissance sont arrivées au zénith dans le soleil qui est le Christ.
L’Eglise, c’est le Christ en tant que Révélation complète dont se déploie l’efficacité. C’est du Christ que la Révélation continue d’éclairer et de réchauffer par l’Esprit Saint, non seulement jusqu’à la fin des temps, mais éternellement, dans et par l’Église terrestre et céleste: du Christ, de son Corps en tant que forme de communion entre Lui et ceux qui croient et entre les croyants eux-mêmes.
Si la Révélation devenue réalité achevée dans le Christ porte en elle un dynamisme prophétique, un prophétisme en mouvement, son action jusqu’à son but final est impliquée dans ce dynamisme qui s’accomplit dans et par l’Église.
L’Église a donc, par l’Esprit Saint, la mission de rendre efficace non pas n’importe quelle révélation, mais la Révélation accomplie dans le Christ, ou le Christ en tant qu’incorporation de la Révélation parfaite, selon la tension prophétique qui se trouve impliquée en Lui.
Par conséquent, l’Église a aussi la mission de conserver la Révélation accomplie dans le Christ. Elle le fait par l’Esprit Saint qui la rend apte à discerner la Révélation, dans sa plénitude et sa tension vers son but final. L’Esprit Saint maintient l’Église comme moyen adéquat d’actualisation et de témoignage de la Révélation et, par là, d’accomplissement de l’existence humaine dans le Christ. Dans ce sens, cette Révélation est objectivement immuable. Donc l’Église, par l’Écriture et par la Tradition maintient vivante et agissante la Révélation dans sa signification authentique. Son action n’est autre que la mise en œuvre de la Révélation préservée dans son intégralité, et la préparation des croyants pour la recevoir.
Si l’Écriture et tout l’ensemble de la Révélation ont leur concrétisation complète dans le Christ, l’Église ne peut cependant se passer d’elles. Car l’Écriture et la Révélation sont l’expression authentique du Christ, on ne peut trouver d’autres expressions plus complètes du Christ, et l’Église ne peut davantage rester avec un Christ non exprimé. Car un Christ non exprimé ne pourrait manifester sa force. Mais ayant le Christ actif en elle par l’Esprit Saint, l’Église est seule capable de comprendre et d’interpréter authentiquement l’Écriture, qui est composée d’étapes, de paroles et d’actes qui expriment le Christ ressuscité et conduisent ceux qui croient vers leur accomplissement en Lui.
L’Esprit nous rend sensibles au Christ et nous unit à Lui dans l’Église, parce que le feu de l’Esprît imprègne l’humanité intégrale et intégrante du Christ. Il agit à travers la foi active. Ce feu est la vie s’accomplissant dans la communion avec le Christ. L’Esprit apporte la vie parce qu’il réalise la communion avec le Christ. Par l’Esprit, les fidèles ne sont pas liés isolément au Christ, mais tous ensemble. Celui qui parvient à la foi dans le Christ participe par là-même à la foi et à la sensibilité spirituelle des autres. La sensibilité interpersonnelle de la foi dans laquelle se manifeste l’Esprit Saint unit dans la communauté de la foi, c’est-à-dire dans l’Église, tous ceux qui croient.
La joie qui résulte de la communion à la Personne absolue du Christ se répercute dans la joie de la communion avec les autres hommes; dans la participation des autres à la Personne absolue de Dieu, qui dans le Christ se rend participable aux hommes.
C’est pourquoi l’Église n’est pas seulement la seule à comprendre pleinement l’Écriture dans la Tradition comme expression vivante de la puissance du Christ, mais aussi la seule qui actualise pleinement cette puissance, sa chaleur, par la sensibilité interhumaine provoquée par l’Esprit Saint.
A – Les modes de transmission de la Révélation évangélique
1) L’Écriture et son lien avec l’Église par la Tradition
Le dialogue vivant de l’Église avec le Christ se réalise principalement par la Sainte Écriture et la Sainte Tradition. L’Écriture est une des formes dans lesquelles se conserve la Révélation dans son efficacité, comme appel continu de Dieu. Elle est l’expression écrite de la Révélation accomplie dans le Christ. Elle présente le Christ dans la forme de Sa parole dynamique et de la parole, également dynamique, des saints apôtres sur Ses œuvres salvatrices, toujours efficaces. Mais elle décrit aussi le mode selon lequel Dieu a préparé notre salut dans le Christ et le mode selon lequel le Christ continue d’agir pour nous amener à la «ressemblance» avec Lui, jusqu’à la fin du monde.
C’est par l’Écriture que le Christ continue à nous parler, et nous provoque à répondre, afin qu’il puisse agir en nous. Par l’Écriture, comme parole vivante, nous sentons que le Christ continue d’agir en nous par Son Esprit Saint: «Et voici, Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde» (Мф.28:20). La Sainte Écriture, c’est le Verbe de Dieu qui Se traduit Lui-même par des paroles pour nous conduire nous aussi à l’état auquel Il est parvenu. L’Écriture rend présent ce que le Fils de Dieu continue de faire avec nous en Sa qualité de Dieu et d’homme parfait; l’Écriture traduit donc l’œuvre actuelle du Christ.
Saint Maxime le Confesseur, faisant mention de deux expressions de saint Paul sur «la fin des siècles arrivée à nous» (1Кор.10:11) et sur les siècles à venir dans lesquels «Dieu montrera l’infinie richesse de Sa grâce par Sa bonté envers nous en Jésus-Christ» (Еф.2:7), dit: «Une fois achevés pour nous les siècles établis d’avance pour l’œuvre selon laquelle Dieu devait devenir homme, Dieu ayant vraiment accompli Son incarnation parfaite, nous devons attendre désormais les autres siècles à venir, qui sont établis en vue de l’œuvre de déification mystérieuse et inexprimable des hommes22.»
Or la richesse que Dieu nous montrera dans les siècles à venir, Sa bonté intégrale envers nous offerte dans le Christ, sont décrites dans l’Écriture.
De cette manière, la Sainte Écriture n’est pas seulement un livre par lequel nous gardons en mémoire ce que Dieu a fait pour préparer l’incarnation de son Fils puis par cette incarnation, mais aussi un livre qui nous relate ce que le Fils de Dieu incarné et ressuscité fait et fera jusqu’à la fin des siècles, pour nous conduire, nous aussi, à la résurrection.
L’Écriture décrit aussi le commencement, dans l’Église naissante, de l’extension de l’agir du Christ à partir de Son état de résurrection. Ce commencement est le modèle de Son action jusqu’à la fin du monde. Car c’est dans le Christ ressuscité et «assis à la droite» du Père que Dieu nous montre ce qu’il nous donne et nous donnera dans les siècles qui suivent Sa Résurrection, laquelle fonde notre vie éternelle. C’est «dans le Christ, avec Lui, que Dieu nous a ressuscités et nous a fait asseoir dans les lieux célestes» (Еф.2:6). La Sainte Écriture est ainsi un livre toujours actuel. «Le ciel et la terre passeront, mais Mes paroles ne passeront point» (Мф.24:35; Мк.13:31; Лк.21:33).
Les paroles du Christ doivent être acceptées, car elles sont les paroles de Dieu (Ин.3:34); de même, les paroles des apôtres relatives à Lui, sur la base de Ses paroles et de Ses actes (Деян.4:29, 13:5–7 et 46, 6:2, 6:7, 8:14, 16:32, 17:13). C’est pourquoi ces paroles s’accomplissent dans ceux qui les écoutent. Car elles sont «esprit et vie» (Ин.6:63), «les paroles de la vie éternelle» (Ин.6:68). Cependant ces paroles ne peuvent être crues et produire la vie éternelle en ceux qui les entendent que si l’Esprit Saint agit en eux.
«Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu; vous n’écoutez pas, parce que vous n’êtes pas de Dieu» (Ин.8:47). Mais l’Esprit qui produit la foi dans celui qui écoute, c’est l’Esprit du Christ. Le Christ est notre sens ultime, en Lui s’accomplit notre sens ultime par la sensibilité que produit en nous l’Esprit Saint. Par conséquent, c’est le Christ lui-même qui agit, par Son Esprit, dans celui qui entend Ses paroles et ne s’oppose pas à leur contenu. Ainsi l’Écriture est une des formes par laquelle les paroles du Christ se conservent non seulement comme les paroles prononcées jadis par le Christ, mais aussi comme paroles qu’il ne cesse pas de nous adresser. La Sainte Écriture témoigne de l’intervention de l’Esprit qui se produisait en ceux qui avaient écouté les paroles du Christ, ou, après Son Ascension, celles des apôtres. «Beaucoup de ceux qui avaient entendu la parole crurent» (Деян.4:4). «Pierre exposait encore ces événements quand l’Esprit Saint tomba surtbus ceux qui écoutaient la parole. (Деян.10:44).
L’Écriture ne nous dit pas qu’on soit parvenu à la foi par sa simple lecture. Certes, on peut exprimer cela par le fait qu’il n’y avait pas d’Écriture concernant le Christ à l’époque où se situent les témoignages cités ci-dessus. Cependant, en général, la parole de l’Écriture a de la puissance lorsqu’elle est communiquée par un homme croyant, soit qu’il la répète telle quelle, soit qu’il l’explique. Car c’est dans la foi transmise qu’agit l’Esprit Saint. La foi, en tant qu’œuvre de l’Esprit, vient à quelqu’un par un autre, mais seulement lorsque cet autre communique la parole biblique assimilée et confessée par la foi.
L’Écriture actualise sa puissance dans la communion entre les personnes, dans la transmission de la parole, par la foi, d’une personne à l’autre, à travers les générations. Il a fallu qu’il y eut, dès le début, des personnes qui avaient cru, non en lisant l’Écriture, mais par le contact avec une personne qui leur avait donné la foi dans son contenu, et c’est ainsi qu’elles ont adhéré à ce contenu: au début parlé, ensuite fixé par écrit. Cette personne, c’était le Christ. Et la vision de Ses abîmes divins, la sensibilité pour eux, ont été données par l’Esprit. Dès lors les paroles du Christ, ou sur le Christ, fixées ou non dans l’Écriture, sont les moyens extérieurs d’expression, de transmission et de renouvellement de la foi dans l’Église, ou de l’Église vers ceux qui sont en dehors d’elle; et cela se réalise simultanément avec la transmission et l’actualisation de ces paroles par l’Esprit Saint.
Lorsque nous attribuons ce rôle aux paroles, nous voulons parler non de leur répétition mot à mot, mais de leur contenu, qui est le témoignage sur le Christ. Cependant s’impose une lecture constante de l’Écriture dans la communauté ecclésiale par certaines personnes, lecture qui renouvelle la circulation de son contenu dans cette communauté.
Ainsi, l’Écriture garantit la conservation de la foi vivante et non altérée dans l’Église, bien qu’à son tour elle soit mise en valeur par l’Esprit du Christ, par l’Esprit de la foi, et conservée par Lui dans la communauté de l’Église depuis sa fondation, après le contact intense de certaines personnes avec le Christ.
En outre, ceux qui reçoivent la foi d’autres personnes, pénètrent toujours plus profondément, par un contact ultérieur fréquent avec l’Écriture, dans la richesse de ses significations spirituelles, et sont toujours plus convaincus que ses paroles ne peuvent venir que de Dieu, car ils y décèlent les profondeurs infinies de la vie divine. Ces significations spirituelles affermissent la foi reçue par l’intermédiaire d’autrui; elles répondent à la soif de connaître Dieu et au mode selon lequel la foi pressent celui-ci.
L’état créé par l’Esprit qui suscite la foi est approfondi par le sens des paroles bibliques, de telle martière qu’on ne peut plus distinguer entre l’œuvre de l’Esprit parvenu à nous par l’intermédiaire d’un autre et l’effet des paroles de l’Écriture.
L’enrichissement de ma foi par la lecture et la méditation de l’Écriture se réalise dans la communion avec d’autres, dans la communauté de l’Église. Sans l’Écriture, avec le temps, la foi s’affaiblirait et son contenu s’appauvrirait et deviendrait incertain au sein de l’Église. Mais sans l’Église, l’Écriture ne serait pas actualisée dans son efficacité, car manquerait la transmission de l’Esprit qui se fait de ceux qui croient à ceux qui reçoivent la foi.
Ainsi, l’Esprit actualise dans la communauté de l’Église les paroles de l’Écriture. Le Christ prononce maintenant aussi, dans l’Esprit, Ses paroles, mettant en relief en elles des significations toujours nouvelles, selon mon propre niveau de compréhension spirituelle, mais aussi selon le niveau de l’époque et de la communauté ecclésiale.
Dès qu’on passe au-delà de la lettre de l’Écriture et d’une lecture sans compréhension spirituelle, on découvre non seulement des significations profondes, mais aussi l’action de l’Esprit du Christ que ces significations produisent en celui qui lit, on touche le Christ même, qui dévoile toujours plus Sa richesse spirituelle. C’est ainsi que les croyants comprennent de plus en plus «quelle est la Largeur, la Longueur, la Profondeur et la Hauteur» de «l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance», «en sorte qu’ils soient remplis de toute la plénitude de Dieu» (Еф.3:18–19).
Saint Maxime le Confesseur dit à ce sujet: «On a besoin de beaucoup de science (spirituelle) pour écarter d’abord soigneusement les voiles des lettres qui recèlent le Logos, et pouvoir ainsi regarder, d’une intelligence ouverte, le Logos même, qui subsiste en Soi et révèle en Lui le Père, et cela autant qu’il est possible aux hommes23.»
Les paroles de l’Écriture sont l’occasion inévitable d’entrer, par l’action du Saint-Esprit, en liaison avec la Personne authentique du Christ au-delà même de ces paroles; et donc celles-ci doivent être lues non seulement dans leur forme écrite, mais aussi connues dans leur contenu.
Avec les apôtres ce fut l’inverse: d’abord ils ont connu la Personne et les actes du Christ dont certains ont été prédits par Lui, ensuite «ils ont cru à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite» (Ин.2:22). Ainsi s’est transmise, depuis l’époque apostolique, la foi dans la Personne du Christ par la prédication orale et ensuite ceux qui ont cru en Lui ont confirmé et enrichi leur foi par la lecture de l’Écriture.
Cependant, «toute Écriture est inspirée par Dieu» (2Тим.3:16), précisément pour être le moyen par lequel se maintient et s’affermit la foi en Christ, après qu’elle s’est constituée.
Le Christ, qui agit en nous par l’Esprit Saint, en Se communiquant tel qu’il est décrit par l’Écriture, se trouve dans l’Église. L’Église est le corps du Christ dans lequel celui-ci agit au cours des temps. L’Église est pleine du Christ qui opère le salut. Mais si le Christ est actif dans l’Église, l’Écriture qui le décrit se trouve aussi dans l’Église.
D’autre part, la Révélation, en tant que réalité accomplie dans le Christ et manifestant la même efficacité par l’Église au long des siècles, représente la Tradition. Donc, la Tradition est l’Église même en tant que forme de la présence non diminuée du Christ, par l’Esprit Saint. C’est pourquoi «aucune prophétie de l’Écriture n’est affaire d’interprétation privée, car ce n’est pas la volonté humaine qui a jamais produit une prophétie, mais c’est portés par l’Esprit Saint que des hommes saints ont parlé de la part de Dieu» (2Пет.1:20–21).
Dans l’océan des sens spirituels au-delà de la lettre, on ne peut, sans être guidé par l’Esprit, naviguer que d’une manière errante, car c’est l’Esprit Saint qui transmet d’une génération à l’autre la compréhension de ces sens dans l’Église.
2) La Tradition et son lien avec l’Église et l’Écriture
La Tradition est la permanence du dialogue de l’Église avec le Christ.
Le contenu fondamental de l’Écriture reçu des apôtres par la communauté de l’Église, n’étant pas un produit humain, mais inspiré par l’Esprit Saint, doit, d’une part, être préservé, et, d’autre part, approfondi dans ses significations. Ainsi, l’Écriture exige une tradition continue et vivante depuis les apôtres. L’Écriture a un dynamisme intrinsèque. Son contenu veut être connu, appliqué et vécu dans une toujours plus grande profondeur et intensité, parce que le contenu même de la Révélation, qui est le Christ incompréhensible, veut être connu et assimilé toujours davantage et aimé toujours plus intensément. La Tradition actualise ce dynamisme de l’Écriture sans l’altérer, car elle-même est une application et un approfondissement constant du contenu de l’Écriture. En même temps qu’elle préserve authentiquement l’Écriture, la Tradition réalise cette actualisation du dynamisme biblique par sa capacité d’interprétation juste de l’Écriture. Dans son essence, cette explication est celle des apôtres. L’apôtre Paul, pour se faire comprendre dans ses épîtres, renvoie à sa prédication orale, qui évidemment est restée dans la communauté comme Tradition et par la Tradition (1Кор.11:2, 15:3; 2Фес.2:15, 3:6). Cette explication ou «enseignement apostolique» de la foi doit rester comme un modèle permanent, comme une règle à ne pas changer (Рим.6:17; Иуд.3). Dès le début, l’Église persistait et était exhortée à persister dans «l’enseignement des apôtres»; celui-ci relatait les paroles et les actes du Christ, mais il en était aussi l’explication qui, bien évidemment, ne se faisait pas sans l’Esprit du Christ (Деян.2:42, 17:19; Рим.16:17; Деян.13:12; Тит.1:9; Евр.13:9; Откр.2:14). Cependant cet enseignement prenait des formes diverses (1Кор.14:26; 1Тим.4:2). Par conséquent l’explication apostolique, bien qu’elle demeure essentiellement la même, porte en elle un principe dynamisant. L’essence en est le Christ comme Dieu-Homme, comme accomplissement de l’humanité en Lui par la Résurrection et par l’union totale avec Dieu. Mais l’infinité divine qui se communique par Lui à l’humanité exige d’être toujours expliquée, parce qu’on progresse toujours dans son expérience et sa compréhension: «...enracinés et fondés dans l’amour, vous aurez ainsi la force de comprendre, avec tous les saints, quelle est la Largeur, la Longueur, la Hauteur, la Profondeur... et de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés de toute la plénitude de Dieu» (Еф.3:17–19).
La Tradition réside dans l’expérience continue, la même et toujours nouvelle, de cet amour qui surpasse toute connaissance. Il ne peut être expérimenté que par l’expérience simultanée de l’amour entre tous les croyants, c’est-à-dire dans l’Église. C’est pourquoi il se fait connaître par l’Église. Et c’est par l’Église que se fait comprendre aussi l’expression authentique de cet amour dans la Sainte Écriture (Еф.3:10). Ainsi devons-nous comprendre le rapport entre la permanence de la Révélation achevée dans le Christ et sa nouveauté continue, manifestée par la Tradition, dont la base est donnée par les apôtres. Mais la Tradition, qu’apporte-t-elle de nouveau, si elle n’est pas une continuation de la Révélation?
«Comprendre, actualiser, c’est-à-dire intégrer dans notre existence les éléments d’une Révélation destinée précisément à nous rendre présente ici et maintenant la grâce dont l’Écriture a parlé pour la première fois, et qui a déjà une longue histoire... Par la Révélation du Christ quelque chose s’est passé “une fois pour toutes” (Евр.7:27 et Евр.10:10). L’Esprit Saint est à l’œuvre. C’est Lui qui rend actuelle la Révélation. La Révélation est en même temps mystérieusement close et ouverte24.»
Si l’Écriture n’avait qu’un sens étroit, littéral, statique, elle n’aurait pas besoin de la Tradition, d’une interprétation qui garde en même temps le sens apostolique originel. Si l’Écriture n’avait pas l’intention de faire passer le Christ dans la vie des hommes et d’intégrer cette vie au Christ, elle n’aurait pas besoin d’être complétée par la Tradition.
L’explication apostolique du contenu de l’Écriture, qui est sa première et parfaitement authentique explication, coïncide avec le passage de ce contenu dans l’existence humaine par la fondation de l’Église, avec l’établissement concret de ses structures sacramentelles sur la base des indications du Seigneur, structures qui correspondent aux multiples donations de la puissance du Christ selon les besoins des fidèles, et avec la précision de ses modalités de vie spirituelle et de culte. Le contenu de la Tradition apostolique n’est, en son essence, que le contenu de l’Écriture appliqué à l’existence humaine, passé en celle-ci par l’Église.
L’Église maintient donc l’Écriture, appliquée et interprétée par la Tradition, et donc toujours nouvelle et pourtant toujours la même. Elle la maintient par les structures sacramentelles précisées par les apôtres pour faire passer la vie même du Christ dans celle des hommes. Elle la maintient toujours nouvelle et toujours la même par la Tradition originaire, par laquelle les apôtres ont précisé ces structures, qui permettent au Christ de se communiquer réellement au cours des générations, avec la richesse inépuisable de Ses dons. Mettre en pratique ces structures, c’est recevoir à travers elles, dans l’Église, le Christ intégral, la grâce du Christ; mais ceci ne signifie pas que ce Christ intégral ne doive être expliqué sans cesse, par la mise en évidence d’autres et autres encore significations de Lui, de nouveaux effets produits par Lui dans les âmes. La Tradition en tant qu’interprétation toujours enrichie du même Christ ne peut être séparée de l’intégration à Celui-ci, elle est le flux de la même grâce du Christ, de la réception de la même Personne dans l’Église, par les Sacrements, et la parole explicative.
La Tradition a donc deux sens:
a) l’ensemble des modalités par lesquelles le Christ, sous la forme de l’Église et de tous Ses actes de sanctification et de prédication, passe dans l’existence humaine; b) la transmission de ces modalités d’une génération à l’autre.
Georges Florovsky dit à ce sujet: «Les apôtres ont transmis et l’Église a reçu par leurs successeurs, les évêques, non seulement une doctrine, mais aussi la grâce du Saint-Esprit.» «Essentiellement, la Tradition est la présence ininterrompue de la vie divine, la présence permanente de l’Esprit Saint25.»
La Tradition est l’actualisation dans l’Église du même Christ pleinement révélé – c’est-à-dire devenu homme, crucifié et ressuscité. Autrement dit, elle est la transmission toujours renouvelée de l’état final dynamique auquel est arrivé Dieu dans Son rapprochement et son union avec l’homme.
Par conséquent, elle prolonge l’action de Dieu en Christ, action décrite, essentiellement, par l’Écriture; C’est seulement par la Tradition que le contenu de l’Écriture reste toujours vivant, actuel, efficace, dynamique dans son intégralité, au cours des générations de l’histoire. Dans ce sens, la Tradition complète l’Écriture. Sans elle, l’Écriture, ou la Révélation, ne peut actualiser toute sa puissance. Sans elle, on ne peut pénétrer et vivre tout le contenu de l’Écriture. Tous les hymnes de l’Église sont imprégnés des textes de l’Écriture et tous les actes liturgiques et sacramentels symbolisent et actualisent, d’une manière effective, des moments de l’Écriture, de l’histoire de la Révélation. Par là, les hymnes et les actes liturgiques constituent «une profonde interprétation dogmatique et spirituelle de l’Écriture. Sans l’explication liturgique et sans l’incorporation dans la Liturgie eucharistique et les autres Sacrements, l’Écriture deviendrait sèche, et perdrait sa beauté26».
La Tradition apostolique fait partie de la Révélation, car celle-ci ne pouvait pas ne pas montrer le mode par lequel le Christ révélé Se communique aux hommes.
La Tradition a pour rôle de mettre et de maintenir les générations successives en relation avec le Christ, car elle est, essentiellement, aussi bien l’invocation de l’Esprit du Christ que sa réception. C’est à cela que se ramènent les Sacrements et les sacramentaux, dans lesquels on demande et on reçoit par la prière la grâce et les dons de l’Esprit Saint, qui sanctifient non seulement l’âme et le corps de l’homme, mais aussi la nature ambiante. Tous les autres actes saints de l’Église s’intègrent essentiellement dans ces deux-là: l’invocation et la descente de l’Esprit Saint. Et la vie morale et spirituelle, avec l’ascèse, les vertus et le repentir qui lui sont propres et qui sont fixés par la discipline canonique de l’Église, constitue la condition qui rend les croyants aptes à une invocation efficace de l’Esprit, à sa réception vraiment ressentie, ainsi qu’à rendre féconde cette réception dans une vie menée à l’image de celle du Christ, et à progresser dans sa ressemblance vers la communion parfaite avec Lui.
Or toute l’œuvre sanctifiante de l’Église, par l’invocation et la réception du Saint-Esprit, et toute la vie morale et spirituelle des fidèles, se fondent sur les actes sauveurs du Christ, sur la puissance à laquelle est arrivée notre humanité dans le Christ, ainsi que sur l’exemple de l’aide que Dieu a accordée dans tant de situations que l’Écriture nous rapporte; et donc sur la confiance dans la perpétuation de l’amour de Dieu, en Christ, pour les hommes. Elles se fondent aussi sur la foi que le Christ, dans son état de ressuscité, continue d’être proche de nous. Ainsi toute la vie des croyants est une imitation du Christ, une intégration à Lui, par Sa puissance; un progrès vers Sa sainteté, pour se libérer de l’automatisme de la nature et des attachements passionnels. Cette libération constitue la condition de notre communion authentique avec la Personne du Christ et avec les personnes humaines.
En même temps, cette actualisation du Christ intégral offre aussi la possibilité d’approfondir et d’interpréter continuellement le contenu de l’Écriture. Approfondissement et interprétation qui restent dans le cadre de la Tradition de l’Église, dans celui de l’explication fondamentale de l’Écriture par les Sacrements, par la vie liturgique et spirituelle de l’Église, car il s’agit d’une communion toujours approfondie avec le même Christ infini dans Ses richesses spirituelles. Cette Tradition ecclésiale, qui naît de la Tradition apostolique et reste dans son cadre, est donc simultanément dynamique et identique; son dynamisme se nourrit de la source stable de la Tradition apostolique et du Christ intégral décrit et communiqué par celle-ci; elle avance sur un chemin dont les jalons sont virtuellement donnés dans la Tradition apostolique, comme autant de modes essentiels pour communiquer la Personne du Christ, Son œuvre libératrice.
Le développement de la Tradition, dit Vincent de Lérins, ne signifie pas son changement, mais «son amplification en elle-même27».
Le développement continu de la Tradition signifie la mise en lumière du sens riche et unitaire de la Révélation enregistrée essentiellement dans l’Écriture. Il se fait par la forme brève des Credos, mais aussi par la forme ample des actes sanctifiants de l’Église et des interprétations de l’Écriture au cours de son histoire, sur le fondement de la prédication intégrale des apôtres, c’est-à-dire de la Tradition apostolique.
«Dans la règle de foi, dit Origène dans le De Principiis (IV), nous trouvons la lumière cachée des dogmes, incluse dans les paroles de l’Écriture.» Un théologien orthodoxe contemporain dit à ce sujet: «La Tradition est une anamnèse pneumatique qui découvre, au-delà de l’objectivation souvent trop humaine des textes, l’unité et le sens de l’Écriture, indiquant le Christ qui les récapitule et les accomplit28.»
La révélation est toute tendue vers la résurrection générale et la communion éternelle avec la Personne infinie du Christ. Ce but est indiqué d’une manière concentrée dans l’Écriture. La Tradition explicite à chaque moment le chemin inclus virtuellement dans la Révélation, comme tension vers notre accomplissement dans le Christ.
B – L’Église, pour préserver et faire fructifier la Révélation
1) Pour préserver la Révélation
La Tradition ne peut exister sans l’Église. Si la Tradition est, en son essence, invocation et descente de l’Esprit Saint sur les hommes et explicitation apostolique et authentique du contenu de l’Écriture en fonction de son vécu sacramentel et spirituel par les croyants, elle ne peut pas exister sans les hommes qui croient dans la Révélation, c’est-à-dire qui croient en Christ et en Son action en eux par l’Esprit Saint.
Ces hommes, en effet, ne demandent et ne reçoivent pas isolément le Christ dans l’Esprit Saint. Ils ne croient pas isolément dans Sa présence et Son action en eux. Ce n’est pas isolément qu’ils font des efforts pour demander et recevoir, par toute leur vie, l’Esprit Saint et se modeler à l’image du Christ. Tout cela, ils le font et le vivent dans la communion, qui est l’Église. Cette communion devait se former au temps même des apôtres, pour que ceux-ci aient à qui transmettre l’explicitation de la Révélation, à qui l’appliquer, à qui communiquer le Christ dans l’Esprit Saint.
Si la prédication et l’œuvre des apôtres font partie, elles aussi, de la Révélation, celle-ci a donc continué à se compléter dans l’Église, après sa fondation. C’est pourquoi l’Église est le sujet de la Tradition, sujet qui met la Révélation en application. L’Église commence avec la Tradition, et la Tradition commence avec l’Église. En même temps, le sujet de la Tradition est aussi Dieu. Dans la mesure où le sujet de la Tradition est Dieu, l’Église porte la Tradition, elle porte l’œuvre de l’Esprit qui s’accomplit et se transmet en elle par et au long de la Tradition. Cependant l’Église est aussi un sujet actif de la Tradition, dans la mesure où elle demande et reçoit, au nom des fidèles et par ceux-ci, la force de l’Esprit, se prépare à demander et à recevoir celui-ci, et tente de se modeler selon le Christ, par l’action de l’Esprit.
Sans l’Eglise comme sujet de la Tradition, celle-ci n’aurait pas commencé d’exister et elle cesserait d’être pratiquée et transmise, elle cesserait d’exister. Mais à son tour, l’Église n’aurait pas commencé d’exister et n’existerait pas sans la Tradition. La Tradition en tant qu’application continue du contenu de l’Écriture, ou, pour mieux dire, de la Révélation, est un attribut de l’Église.
En tant que contenu, la Tradition représente le mode dans lequel se maintient la plénitude de la Révélation du Christ, ou le Christ comme plénitude de la Révélation concrète; et en tant que transmission, la Tradition assure la continuité de ce contenu dans la foi. Or ces deux aspects de la Tradition sont assurés par l’Église.
Sans la pratique de la Tradition dans la foi, le contenu de l’Écriture ne serait plus vivant, ni efficace, ni compris spirituellement.
L’Écriture se maintient vivante et efficace par la Tradition, et la Tradition existe parce qu’elle est pratiquée par l’Église. L’Église est le milieu dans lequel on s’imprègne du contenu de l’Écriture, par la Tradition. L’Écriture ou la Révélation ont besoin de la Tradition comme moyen d’actualiser leur contenu, et de l’Église comme sujet de la Tradition et milieu où l’on s’imprègne du contenu de l’Écriture ou de la Révélation. Mais l’Église aussi a besoin de l’Écriture, pour se renouveler par elle, pour progresser dans la connaissance et dans la vie en Christ, pour rendre de plus en plus riche son application, dans sa vie, par la Tradition. L’Église, l’Écriture et la Tradition sont indissolublement unies.
C’est par la Tradition que l’Écriture est absorbée dans la vie de l’Église. L’Écriture prend finalité et forme de vie concrète dans l’Église, par la Tradition. Mais l’Écriture prend finalité dans l’Église parce que l’Église a, par l’Esprit Saint, une initiative continue par laquelle elle donne finalité à l’Écriture, justement par la Tradition. Cependant cette initiative est aussi revendiquée par l’Écriture. L’Esprit Saint est actif dans la Tradition, parce qu’il est actif dans l’Église, où celle-ci est pratiquée; et par Son activité dans l’Église porteuse de la Tradition, l’Esprit rend active aussi l’Écriture, Il fait que l’Écriture interpelle l’Église. L’Église, la Tradition et l’Écriture sont entrelacées en un tout, et l’œuvre de l’Esprit Saint est l’âme de ce tout. L’Église est mue par l’Esprit Saint et son mouvement se réalise dans et par la Tradition, mais elle se revivifie, se renouvelle, par son lien avec l’Écriture.
L’Église explique et applique l’Écriture dans son contenu authentique par la Tradition apostolique qu’elle a gardée, Tradition qui a donné la vraie manière d’expliquer et d’appliquer l’Écriture. Cette Tradition a formé l’Église et la maintient, et l’Église est obligée de garder le contenu de l’Écriture dans son sens authentique, dans la signification que lui a transmise la Tradition apostolique dont elle ne peut s’écarter.
L’Écriture existe et est appliquée par l’Église. Sans l’Église, il n’y aurait pas eu d’Écriture. Le canon de l’Écriture est dû à l’Église, à son témoignage. L’Écriture a été rédigée dans l’Église et l’Église a porté témoignage de son authenticité apostolique. L’Église a son origine directe dans l’œuvre des apôtres animée par l’Esprit Saint pour la première application de la Révélation. L’Église n’est pas née par la médiation de l’Écriture. C’est l’Écriture qui est née au sein de l’Église comme fixation par écrit d’une partie de la tradition apostolique, d’une partie de la Révélation, afin de nourrir l’Église et de la maintenir dans le Christ dont la Tradition intégrale transmet authentiquement la présence. La Tradition apostolique apparaît en même temps que l’Église, et l’Église en même temps qu’elle, comme application pratique de la Révélation. C’est pourquoi on ne peut pas dire laquelle soutient l’autre, et c’est seulement d’une manière théorique qu’on peut les distinguer. Mais l’Écriture n’est pas née en même temps que l’Église; elle est née ultérieurement, dans l’Église. Et c’est l’Église qui se porte dès le début garante de l’Écriture comme partie authentique de la Tradition. Elle la protège, comme elle protège la Tradition. Mais ensuite l’Église se nourrit de l’Écriture, de même qu’elle se nourrit de toute la Tradition.
L’Église apparaît en même temps que la Tradition, parce que la Tradition est la Révélation incorporée dans une communauté d’hommes croyants. La Révélation ne peut être incorporée qu’avec la formation d’une communauté de croyants qui l’acceptent et l’appliquent dans leur vie, et cette communauté l’applique d’abord comme Tradition. La forme première, fondamentale et normative d’application de la Révélation tient, elle aussi, de la Révélation, lorsque celle-ci s’ouvre en existence véritablement renouvelée. C’est pourquoi la Tradition ne peut pas être déviée de cet élan premier ou rejetée, car sa déviation ou son rejet équivaudrait à mutiler la Révélation, à limiter son application authentique et cela signifierait une mutilation de l’Église.
L’Église elle-même, en tant que Révélation incorporée, vécue par une communauté humaine, fait partie de la Révélation, elle est le but dans lequel la Révélation trouve sa finalité et commence à porter ses fruits. Il fallait que le Fils de Dieu arrive au terme de Son œuvre, c’est-à-dire à Sa résurrection et à Son ascension pour qu’il envoie Son Esprit, par lequel Il communique aux hommes son état ultime, fondant ainsi l’Église. Si la descente de l’Esprit – manifestation de la force rayonnante de l’humain pleinement sauvé en Christ – est l’acte ultime de la Révélation, de l’œuvre de salut de l’humanité dans le Christ, la naissance concrète de l’Église, comme commencement de l’extension de cette force appartient elle aussi à l’acte ultime de la Révélation.
La Révélation donne naissance à l’Église, qui est le milieu concret, ininterrompu, par lequel s’étend l’humanité sauvée dans le Christ. C’est dans ce but que l’Église donne naissance à ses structures essentielles, œuvre accomplie par la Tradition naissante dont seule une partie a été ultérieurement décrite dans l’Écriture du Nouveau Testament. L’Église, gardant ainsi la Tradition apostolique, a gardé aussi l’intégrité de la Révélation, tout en étant, d’autre part, l’œuvre de celle-ci.
L’Église est fondée par le Christ, dans Lequel culmine et se concentre la Révélation. Mais celle-ci continue à se compléter dans l’Église, pour montrer comment peut se réaliser l’union des croyants avec le Christ à travers les structures «mystériques» où s’actualise dans l’Esprit le contenu de la Révélation. Désormais l’Église reste le milieu où s’applique et s’interprète la Révélation jusqu’à la fin du monde, où s’offre la puissance salvatrice du Christ dans l’Esprit Saint, où certains hommes demandent et reçoivent le Christ, vivent en Lui et se conforment à Lui. Dans ce sens, la venue de l’Esprit Saint lors de l’accomplissement du salut en Christ, inaugure et conduit la nouvelle étape de l’application de la Révélation, jusqu’à la fin du monde. C’est l’étape de la Révélation devenue active comme Tradition. Le sujet de cette vie de la Révélation est l’Esprit Saint par l’Église ou l’Église par l’Esprit Saint. Sans l’Esprit Saint, l’Église ne serait pas née et ne continuerait pas comme milieu où se prolonge l’efficacité de la Révélation. C’est l’Esprit Saint qui a porté la Révélation à son accomplissement, donnant l’être à l’Église avec ses structures essentielles comme Corps du Christ, et c’est Lui aussi qui continue à maintenir la Révélation vivante par l’Église. Jusqu’à l’Ascension, la Révélation s’était concrétisée en plénitude dans le Christ. Par la naissance de l’Église à la Pentecôte et plus tard, l’Esprit Saint nous fait connaître le Christ dans tout ce qu’il contient pour nous et dans l’extension en nous de sa plénitude.
Dans cette perspective, l’Esprit Saint continue la Révélation du Christ par la naissance de l’Église, par l’organisation de ses structures et leur mise en pratique initiale; ensuite c’est toujours Lui qui maintient l’Église dans sa qualité de milieu où ne cesse de vivre la Révélation. Il garde l’Église dans la fidélité envers la Révélation accomplie en Christ, envers l’Écriture qui, dans la Tradition, présente et communique le Christ.
L’Église se meut à l’intérieur de la Révélation, c’est-à-dire de 1’Écriture et de la Tradition; l’Écriture dévoile son contenu à l’intérieur de l’Église et de la Tradition; la Tradition est vivante à l’intérieur de l’Église. La Révélation même est efficace à l’intérieur de l’Église et l’Église est vivante à l’intérieur de la Révélation. Et cet entrelacement forme un tout par l’action de l’unique Esprit. L’Esprit Saint maintient l’Église dans sa réalité de Corps du Christ, il la renouvelle par la mise en pratique du contenu non altéré de la Révélation, il l’aide à approfondir ce contenu par la connaissance et la vie.
L’Écriture livre infailliblement le sens de la Révélation, parce qu’elle-même est l’œuvre de la Révélation, de l’Esprit Saint, parce qu’elle se meut à l’intérieur de la Révélation, à laquelle elle est organiquement unie. L’Esprit Saint, qui ensemble avec le Christ est l’auteur de la Révélation, le fondateur de l’Église et l’inspirateur de l’Écriture, est à l’œuvre dans l’Église, aidant celle-ci à comprendre et à s’approprier authentiquement le contenu de la Révélation, c’est-à-dire le Christ dans la plénitude de Ses dons. L’Église comprend le sens authentique de la Révélation, parce que l’Esprit Saint maintient en elle l’évidence d’une plénitude vécue, celle même du Christ. Et cette plénitude se manifeste et s’actualise par l’Esprit Saint. C’est pourquoi saint Irénée a dit: «Là où est l’Église, là est l’Esprit Saint et là est la vérité» (c’est-à-dire le Christ) ou: «Là où est l’Esprit, là sont l’Église et la vérité.»
Saint Nicéphore le Confesseur, patriarche de Constantinople, dit: «L’Église est la maison de Dieu, comme l’estime le saint apôtre Paul lorsqu’il écrit à Timothée et dit qu’il faut qu’on sache “comment se conduire dans la maison de Dieu, qui est l’Église du Dieu vivant” (1Тим.3:15). Ainsi la maison étant divine, elle a été bâtie au sommet des hautes montagnes (Евр.12:18–22), qui pénètrent dans la contemplation, c’est-à-dire dans les réflexions et les pensées des prophètes et des apôtres [...] et elle (l’Église) a brillamment pénétré ces pensées; il est dit que c’est sur celles-ci qu’est bâtie, comme sur les fondements de la foi, l’Église de Dieu29.»
Le même saint déclare que les apôtres, se trouvant dans l’Église où agit l’Esprit Saint, ont été envoyés par le Christ qui, dans l’Esprit Saint, est à l’œuvre dans l’Église. Prenant pour point de départ les paroles suivantes: «C’est de Sion que viendra la Loi, et de Jérusalem la parole du Seigneur» (Ис.2:3), saint Nicéphore les applique à l’Église comme image de la Jérusalem céleste: «Car c’est de cette Jérusalem sensible, en tant que préfiguration de la Jérusalem d’en-haut, qu’est venue, évidemment, la parole divine qui s’est étendue jusqu’à toutes les extrémités du monde. Car c’est en elle que se sont accomplis les mystères du salut. D’elle ont été envoyés aussi les apôtres, pour enseigner les nations, pour aplanir à celles-ci le chemin juste qui mène au salut30.»
2) Les dogmes comme expression doctrinale du plan du salut
Les dogmes sont, selon leur forme, les points fondamentaux du plan de notre salut et de notre déification, points compris et réalisés dans la Révélation divine qui a culminé en Christ, et conservés, préchés, appliqués et expliqués ou définis par l’Église. Par conséquent, ils représentent des vérités de foi nécessaires au salut. Pour le christianisme il y a une seule vérité intégrale qui nous sauve: le Christ Dieu-Homme. Cette vérité intégrale est à proprement parler la Trinité, la communion des Personnes divines, mais Elle opère le salut par le Fils de Dieu, l’Hypostase divine qui unit en elle la divinité et l’humanité, désirant récapituler en soi toutes choses.
C’est dans le Logos divin que toutes choses ont leur origine, leur fondement, leur existence et leur sens; et par Son incarnation, le Logos récapitule en Lui toutes les créatures. Les dogmes explicitent donc le Christ et Son œuvre de récapitulation. Jésus lui-même a dit: «Je suis la vérité» (Ин.14:6).
a) Les dogmes comme vérités révélées de la foi salvatrice
Nous avons vu plus haut que même les dogmes «naturels», en tant que sens ultime de l’existence, ont une évidence intrinsèque, mais qu’ils ont pourtant besoin d’être acceptés par la foi. La Révélation biblique précise ces sens ultimes de l’existence, et montre concrètement leur accomplissement réel dans le Christ et comment nous pouvons les réaliser en vivant en Christ et dans l’Esprit Saint.
Ces sens plus précis, plus complets, accomplis dans le Christ et en train de s’accomplir en nous, ont aussi une évidence plus grande que les dogmes «naturels», grâce à l’expression de Dieu que communiquent la Révélation biblique et les actes divino-humains qui l’accompagnent.
Cependant cette évidence plus grande des sens ultimes ne rend pas superflue la foi, quant à leur acceptation. Bien au contraire, la foi par laquelle ils sont accueillis est d’autant plus grande que leur évidence l’est aussi. Il y a donc une correspondance entre l’intensité de leur évidence et l’intensité de la foi avec laquelle ils sont acceptés. Autant l’une que l’autre sont les effets de l’action de l’Esprit.
Dans le cas des dogmes «naturels», leur évidence est fonction de leur sens qui s’impose à nous d’une manière naturelle. Quant aux dogmes évangéliques, leur évidence n’est pas fonction de leur sens, qui ne s’impose pas à nous naturellement, mais d’un acte ou d’une suite d’actes d’autorévélation de Dieu qui se met Lui-même en évidence. Dieu se révèle, et révèle ces dogmes, par sa propre initiative. Et c’est uniquement cela qui les rend évidents. Leur sens surgit du fait même et du contenu de cette Révélation. Car la Révélation se réalise de telle manière qu’elle est une évidence en acte. Si dans la Révélation «naturelle» on a l’ordre suivant: sens, donc évidence, dans la Révélation biblique on a l’ordre: acte de révélation, donc sens.
Dans la Révélation biblique, la réalité personnelle salvatrice de Dieu s’impose d’une manière très accentuée. L’évidence, ou la vérité de ce qui s’impose, est proportionnelle à la pression de sa réalité.
La réalité personnelle de Dieu s’impose à l’homme sans l’effort de celui-ci. C’est pourquoi la Révélation évangélique constitue le fondement même de notre acceptation des dogmes chrétiens.
La réalité qui nous saisit dans la Révélation biblique est le Logos personnel divin: dans la Révélation de l’Ancien Testament, d’une manière non incarnée, et dans celle du Nouveau Testament, d’une manière incarnée. C’est en lui que nous connaissons, comme existant et opérant, toutes les vérités de notre salut. Dans la Révélation «naturelle», nous arrivons au Logos par la réflexion, bien que cette réflexion soit inspirée par le Logos personnel, en tant que sens de notre existence.
Les dogmes de la Révélation biblique ont une clarté bien plus grande, dans la mesure où ils montrent le Dieu personnel qui est en lui-même le sens absolu et donne sens à toutes choses. La Révélation est celle de l’existence personnelle suprême, évidente en elle-même, et les hommes voient en celle-ci l’assurance de cette existence éternelle à laquelle ils aspirent.
Toutefois, dans ce cas aussi, la réalité qui donne sens à toutes choses ne se révèle qu’à celui qui s’ouvre à elle. Une personne ne sé révèle, c’est-à-dire ne s’ouvre, qu’à celui qui lui-même s’ouvre à elle. Car la Révélation est relation entre des personnes.
Une personne ne s’ouvre pas à moi si je ne m’ouvre pas à elle. D’autant moins, la Personne divine. Mais une fois que son existence s’est révélée à moi, elle devient tellement le sens de mon existence, tellement évidente et vraie que je ne peux plus trouver sans elle un sens à mon existence. Je peux vivre d’une manière brute, sans signification, mais cette existence est pour moi un tourment.
Les degrés inférieurs du cosmos ont un sens, parce qu’ils existent pour l’homme. Mais l’homme, s’il ne veut exister pour personne, ne trouve aucun sens à son existence. C’est pourquoi saint Maxime le Confesseur déclare que toute chose a un sens, une raison d’être, sauf le mal car il n’existe positivement pour rien. Le sens est le fondement de l’existence. C’est dans le sens que se trouve sa vérité et son évidence. Et la personne a un sens incomparablement plus important que les choses. C’est la personne qui donne sens aux choses. Selon la foi chrétienne, le sens absolument nécessaire à toutes choses est dans la Personne divine. C’est Elle qui donne sens à toutes choses. Son existence n’est pas simplement ontique, mais ontologique. Et Sa Révélation nous est nécessaire pour que nous ayons connaissance d’Elle et de notre sens.
La Personne suprême, dans sa révélation, implique en Elle l’évidence, mais elle ne s’impose pas sans la foi. Car le contact avec la Personne suprême, ou avec la Vérité suprême, ne peut avoir lieu sans une libre ouverture à son égard. Son évidence se révèle à notre acceptation libre, à notre foi.
Une personne peut être proche ou lointaine; elle ouvre son trésor intérieur et se fait connaître, ou elle ne l’ouvre pas et reste cachée. Mais elle s’ouvre seulement à celui qui s’ouvre à elle. La vérité de la foi chrétienne, c’est le trésor de la Personne suprême que Celle-ci ouvre à celui qui s’ouvre à Elle par la foi. Ouverture à ce que j’accepte de considérer comme la vérité.
La foi est fondée sur la Révélation, et la Révélation n’a pas lieu sans la foi. Elles sont complémentaires. Ce n’est pas la foi qui produit la Révélation, mais elle surgit du pressentiment que la Personne suprême a l’intention de Se révéler; et ce pressentiment s’exprime pleinement au moment de la Révélation. De même, pourrait-on dire, ce n’est pas ma foi qui provoque la Révélation de mon semblable en ce qu’il a de plus secret et de plus vivifiant pour moi; mais s’il n’y a pas en moi une sorte de pressentiment et d’attente, qui deviendront foi lors de sa révélation, celle-ci n’aura pas lieu. La Révélation et la foi se provoquent réciproquement déjà dans leur phase préliminaire. La nature humaine est faite par Dieu pour recevoir Sa Révélation, par la foi.
b) Les dogmes définis par l’ Église comme voies de vie et de contemplation
La première raison d’accepter les dogmes, c’est leur communication par la Révélation biblique et évangélique par laquelle la réalité divine personnelle s’adresse, de sa propre initiative, à l’être humain.
La deuxième raison, c’est la sauvegarde, le témoignage, la fécondité des dogmes par et dans l’Église, c’est-à-dire par la communauté de ceux qui croient en Christ, communauté née avec la descente de l’Esprit Saint sur les apôtres, conformément à l’annonce du Christ, immédiatement après l’accomplissement de la Révélation en Lui. Le commencement de l’Église a été, lui aussi, un fait de Révélation, qui s’est imposé à ceux qui ont décidé, sous la pression d’une puissante initiative spirituelle venant d’en-haut, de devenir ses premiers membres. Dans la naissance de l’Église, cette pression s’est exercée sur une assemblée d’hommes. Quelque chose d’analogue avait eu lieu dans les actes par lesquels le peuple d’Israël s’était rassemblé dans l’Église de l’Ancien Testament lorsqu’il était sorti de l’Égypte, avait traversé le désert et occupé le pays de Canaan. Cependant à Pentecôte, l’acte de la Révélation ne fonde pas une communauté religieuse nationale: il s’agit au contraire de dévoiler à une assemblée hétérogène toute la signification du Christ en tant que Dieu devenu homme, ressuscité et monté au ciel, pour le salut de tous par une foi commune en Lui.
Si les actes de révélation par lesquels avait été fondée la communauté religieuse du peuple d’Israël avaient ouvert la vue spirituelle de celui-ci à l’assurance d’être en permanence conduit par Dieu, lors de la Pentecôte l’Église universelle prend naissance par un acte de révélation qui montre à la vue spirituelle de tous la présence salvatrice permanente du Christ au milieu d’eux et des générations futures, pour le salut de tous ceux qui adhèrent à elle.
L’Église a toujours eu aux temps des apôtres la conscience de la présence invisible, mais vivante, efficace, du Christ au milieu d’elle, comme une présence imminente, pressante, celle même de la Révélation agissant sur elle en tant que communauté.
Cette conscience, l’Église l’a toujours eue et continue à l’avoir; pourtant elle ne fait plus l’expérience de la pression de la Révélation en tant que suite d’actes par lesquels lui seraient communiqués des contenus essentiellement nouveaux, mais elle en fait l’expérience en tant qu’acte continu par lequel le Christ est sans cesse présent au milieu d’elle, avec tous Ses trésors de grâce et de vérité. Cette «sensibilité», l’Esprit Saint ne cesse de l’entretenir dans l’Église. C’est l’Esprit Saint qui a donné concrètement naissance à l’Église, en dévoilant aux premiers fidèles la présence salvatrice du Christ. C’est l’Esprit Saint qui maintient l’Église en mettant constamment en évidence la même présence. Par cette pression, à la différence de ce qui se passait pour Israël, il n’est pas communiqué à l’Église quelque chose d’essentiellement nouveau, mais la richesse infinie du même Christ dans lequel se concentre et s’accomplit la Révélation entière. La Révélation reste vivante et efficace par l’Église. L’Église est le milieu où la Révélation persiste dans toute sa fécondité. L’Église maintient vivante la Révélation, et la Révélation maintient vivante l’Église. La Révélation reçoit ainsi un aspect ecclésial; ses expressions ou ses dogmes deviennent les expressions ou les dogmes de l’Église.
c) Les dogmes nécessaires au salut
Nous l’avons dit, en dehors de la communication avec la Personne suprême il n’y a pas de salut pour la personne humaine. En dehors de cette communication, l’homme ne trouve pas la force de s’affermir spirituellement et de s’accomplir éternellement comme une personne, non réductible à la nature. Les dogmes de la foi chrétienne précisent en plus que le salut de l’homme est assuré comme un éternel «être-bien» seulement si sa relation avec la Personne suprême imprime irrévocablement en lui les énergies et attributs divins, Ce qui est proprement sa «déification». Car celle-ci rend l’homme porteur avec Dieu des énergies divines, qui rendent l’homme, jusque dans sa condition corporelle, proprement «incorruptible».
Ainsi, les dogmes sont nécessaires au salut car ils expriment le Christ dans Son œuvre salvatrice. Cependant le Christ nous sauve seulement si nous nous ouvrons à Lui, si nous adhérons à Lui. Les dogmes chrétiens expriment donc les énergies du Christ dans leur œuvre de salut, mais à condition que nous croyions en Celui qu’ils expriment.
d) Les dogmes, expressions du dessein de salut et de déification de l’homme en Jésus-Christ
Ce que nous venons de dire a mis fortement en relief le caractère personnel du Dieu qui Se révèle, la nécessité d’une relation de foi entre la personne humaine et la Personne divine, la possibilité et le fait de cette communication par la «descente» de la Personne divine en pleine humanité par le Christ.
On a vu aussi que, pour le chrétien, le dogme n’est pas un rétrécissement du libre développement spirituel de l’être humain, mais qu’il rend au contraire celui-ci de plus en plus capable d’un tel développement. Les dogmes chrétiens assurent la liberté du croyant en tant que personne, puisqu’ils ne laissent pas la nature l’asservir et le dissoudre en elle. Bien au contraire, les dogmes chrétiens fondent le libre développement spirituel de celui qui croit, car ils expriment sa communion en tant que personne avec le Dieu personnel.
Or la communion interpersonnelle est le domaine, par excellence, de la liberté, tout en étant en même temps le domaine de la foi. C’est pourquoi saint Cyrille d’Alexandrie dit que ceux qui deviennent les fils de Dieu sont «admis à la liberté de la foi», qui règne «dans la familiarité de Dieu31».
Par là, nous ne voulons pas dire que les dogmes chrétiens ne constituent pas, eux aussi, un système, c’est-à-dire un tout spirituel unitaire. La présentation du contenu de ses composantes que sont les dogmes, équivaut à la présentation d’un système vivant ou plutôt d’un organisme spirituel.
Pourtant, pareil système n’est pas formé de principes abstraits, il est l’unité vivante du Christ, c’est-à-dire la Personne dans laquelle s’unissent et qui unit la divinité et la création. Et le Christ – la Personne divino-humaine – est le système autant intégral qu’ouvert et promoteur de liberté, en ceux qui veulent bien être sauvés par Lui.
Et par la liberté, ce système est constamment ouvert à la nouveauté. Il est ouvert à ceux qui veulent le connaître, pour avancer dans l’infinité spirituelle, dans la vie éternelle, vécue dès qu’ils y entrent, et pleinement, dans toute sa richesse, par la communion avec Dieu, la Personne infinie; vécue dans une expérience et dans une joie toujours nouvelles, inépuisables, qui ne sont pas immobilité, mais vie au-dessus de toute immobilité comme de tout mouvement que nous connaissons 11. Cette ouverture sur la vie non passagère, infinie, se réalise par la résurrection de l’homme en Christ. Car le Christ est Dieu qui s’est fait homme pour s’approcher de nous et qui est ressuscité, en tant qu’homme, afin que tous nous puissions ressusciter pour communier éternellement avec Lui comme Dieu, à travers Son humanité une avec la nôtre. Saint Cyrille d’Alexandrie dit: «Par le Christ qui est ressuscité (comme homme) à une vie sans fin, la limite commune de l’humanité a été enlevée et l’humanité est entrée dans l’incorruptibilité et dans l’immortalité32 33.»
Telle est bien l’idée générale qui unit tous les dogmes chrétiens dans un système: susciter une communion toujours plus étroite entre nous et le Dieu personnel, dont l’incarnation n’avait pas d’autre but. Cette communion de tous dans le Christ et donc aussi entre eux, c’est ce qu’on appelle le Royaume «des cieux» ou «de Dieu», c’est-à- dire l’amour intégral. En d’autres termes, les dogmes chrétiens expriment le dessein de déification de tous les êtres spirituels créés, selon leur désir et leur liberté, plan accompli pleinement dans le Christ. Et dans son déroulement, ce plan ne fait que dévoiler et accomplir en toute réalité notre aspiration naturelle à l’union avec Dieu.
Les dogmes chrétiens forment une unité, distincte de tout autre système unitaire, tant par le fait qu’ils maintiennent devant le croyant une perspective de développement infinie, c’est-à-dire le vrai salut, que par le fait que la force de réaliser ceci et la perspective de ce développement sont réellement données dans le Christ, la Personne divine qui en même temps est aussi l’homme qui se trouve en communion avec l’infinité divine. De fait, en Christ se concentre et se réalise intégralement tout ce qui est exprimé dans les dogmes chrétiens: l’infinité divine à laquelle participe Sa nature humaine et à laquelle, par cette nature humaine une et commune, tous ont la possibilité de participer.
Les dogmes chrétiens ne sont pas un système d’enseignements fini dans sa perspective et dépendant de l’homme dans sa réalisation limitée, ils sont l’interprétation de la réalité du Christ qui se communique aux hommes. Par conséquent, ils expriment la Révélation la plus évidente, car le Christ agit sur nous de tout son amour, en tant que réalité divino-humaine parfaite. Le Christ est ainsi le dogme vivant, intégral et qui opère le salut entier.
e) Le fondement des dogmes: la Trinité, communion plénière de Tamour
Par la réalité de la Personne du Christ, c’est la Trinité elle-même qui Se révèle pleinement. Le Christ révèle en Lui-même le Père et l’Esprit, faisant accéder avec Eux l’humanité à leur communion éternelle.
En même temps, le Christ est l’homme parfait par lequel Dieu conduit tous les êtres à la «récapitulation» en Lui, comme Église qui chemine vers le Royaume des cieux. Ainsi les dogmes chrétiens sont plusieurs et pourtant un, parce que le Christ est un, et qu’en Lui sont donnés toutes les conditions et tous les moyens de notre déification. Et la Personne du Christ comme Fils de Dieu devenu homme, et par là aussi Son œuvre, viennent de la Trinité pour amener les hommes à la communion avec elle. Autrement, Il ne pourrait pas les faire accéder à la joie dans la communion éternelle avec Dieu et entre eux-mêmes.
En dehors du christianisme, Dieu est vu de deux manières qui n’assurent pas pleinement la communion éternelle de la personne humaine avec Lui.
Dans les religions païennes, les personnes des dieux se dissolvent, en dernière analyse, dans une essence impersonnelle. Cette doctrine a reçu une remarquable expression dans la philosophie de Plotin. L’Un se manifeste puis revient, finalement, à lui-même, en englobant aussi ceux qui font partie de la même essence, manifestée seulement pour un temps sous la forme des personnes.
Dans le Judaïsme et dans l’Islam, Dieu est tellement refermé sur Lui-même en tant que personne que la communion avec Lui est impossible à l’homme, seulement une obéissance et la félicité qui la récompense. Entre Lui et la création subsiste un gouffre. Vladimir Lossky dit qu’une Personne divine isolée, solitaire, ne peut communiquer Sa nature34. Mais on pourrait dire aussi que par là elle perd la certitude de son existence, en se dissolvant dans une nature qui fait un avec le monde. D’ailleurs, dans le Judaïsme et l’Islam, c’est surtout la puissance de Dieu à l’égard du monde qui est accentuée. En quelque sorte cela signifie que Dieu a moins de vie en soi qu’en fonction du monde. Sa vie, c’est le monde. C’est pourquoi il ne révèle pas une vie qu’il donnerait au monde. Sans le monde, il n’a aucune raison d’être.
Pour le christianisme, Dieu est Trinité de Personnes qui ont tout en commun, c’est-à-dire l’essence entière, sans se confondre entre Elles en tant que personnes. Cela implique un amour parfait. Car l’amour exige une unité parfaite et une affirmation réciproque des personnes qui s’aiment. Ici l’absolu est tripersonnel, et non pas quelque chose d’impersonnel.
Mais la personne comme telle est affirmée par l’amour parfait de personne à personne, amour qui se fonde dans la nature commune. La personne dans une solitude totale ne pourrait être l’absolu.
Cette suprême unité, ce total amour, où s’affirme l’éternité des Personnes divines, permettent de comprendre que l’action de Dieu envers le monde exprime l’amour qui vit en Lui. Son œuvre créatrice et re-créatrice va se ressentir de cette unité dans la diversité. Les personnes humaines ont elles aussi une nature commune qui s’accomplit dans la multiplicité des personnes.
La force de l’amour trinitaire se manifeste non seulement dans la création d’un monde à la foi un et divers et d’une humanité dont l’unité ontologique se réalise dans la multitude des personnes, mais aussi dans la volonté divine de communion avec le monde. Le plan du salut reflète quelque chose de l’unité et de l’amour intérieur à la Trinité, sans que pour autant celle-ci aille jusqu’à s’identifier substantiellement à la création et à l’humanité, ce qui relativiserait entièrement la réalité propre des Personnes trinitaires et de leur amour.
Cependant dans la constitution même des personnes humaines, unies par une nature commune, se trouve la possible tentation de s’affirmer au-delà de ses propres limites en ne tenant compte ni des autres ni de Dieu, de qui nous avons non seulement l’existence mais la possibilité de croître dans l’existence. Cédant à cette tentation, nous avons déchiré et déchirons la nature humaine. Pourtant cette nature commune reste le fondement de notre aspiration à l’unité dans l’amour, bien que l’amour entre nous se soit si fortement affaibli35.
C’est pourquoi Dieu s’est incarné, a souffert et ressuscité pour établir d’une manière désormais inébranlable Ja communion entre Lui et nous, en unissant notre nature à la Sienne dans l’Une des Personnes divines.
f) Un autre dogme de l’amour. Le dogme de l’union des deux natures en Christ et son rapport avec le dogme de la Trinité
Le Fils de Dieu ne s’unit pas avec une personne humaine car, dans ce cas, en Christ, il y aurait deux personnes et l’homme serait séparé de Dieu, ce qui laisserait les autres hommes en dehors de la communion parfaite avec la Personne divine, et par là, de la communion parfaite avec la Trinité. Le Verbe s’est uni à la nature humaine tout entière. Cependant cette union n’entraîne aucune confusion entre la nature divine et la nature humaine. La nature humaine ne s’unit pas non plus avec chaque Personne divine. Dans ce cas, il ne serait plus possible à l’homme d’être adopté par Dieu puisque justement c’est le Fils de Dieu qui est devenu Fils de l’homme.
L’union entre les deux natures a le caractère le plus fort, mais dans la non-confusion, par le fait qu’elle se réalise dans une unique hypostase divine. L’hypostase du Christ est le fondement de l’union maximale entre les personnes de la même nature.
Le Christ reste Dieu parfait et homme parfait et, par là, le Médiateur réel de notre communion avec Dieu. Par l’incarnation, comme homme, il entre dans une communion parfaite avec les hommes. Par la communion avec Lui, chaque homme est en communion parfaite avec toutes les Personnes trinitaires. En communion avec Lui, chaque homme, devenu fils du Père par la grâce, trouve joie dans l’amour parfait du Père et du Fils, et le Père trouve joie dans l’amour parfait de l’homme-Christ, amour où se rassemblent tous ceux qui croient.
La connaissance de la Trinité et celle de l’union de la nature divine et de la nature humaine dans une Personne divine surpassent tellement notre capacité de penser qu’elles ne peuvent qu’être révélées. Et elles sont réellement révélées dans le Christ. Une fois manifestée dans la Personne du Christ, c’est-à-dire vécue en Celui-ci, la Trinité se révèle comme le sens suprême de notre existence, comme l’accomplissement de notre aspiration à un sens ultime.
Le fondement de la foi dans la Trinité, c’est donc le Christ en tant que révélation concrète et suprême de celle- ci. Saint Cyrille d’Alexandrie affirme à ce sujet: «C’est pourquoi Dieu dit: “Voici que je pose une pierre choisie pour servir de fondation à Sion, une pierre angulaire et précieuse” (Ис.28:16)36.»
C’est seulement dans la Trinité comme unité totale de Personnes non confondues que le caractère de la personne est pleinement assuré. Une personne sans communion n’est pas une personne. Et la communion exige l’essence commune. Nous ne savons pas ce que l’essence divine est en elle-même, sinon qu’elle est au-delà de toute perfection. Mais nous savons qu’elle est le fondement de la communion totale des Personnes divines. Aucune essence ou nature d’un caractère spirituel ne subsiste hors de la personne, ou plutôt de la relation des personnes, et la personne ne peut être pleinement sans essence ou nature, donc sans communion. A proprement parler la personne humaine aussi n’existe que dans sa communauté de nature avec les autres.
La communion éternelle à laquelle nous aspirons a son origine et son accomplissement dans la connaturalité éternelle des Personnes divines.
Et si l’unité sans confusion entre les Personnes divines est assurée par leur communauté de nature, la communion entre Dieu et ceux qui croient est assurée par la participation par grâce de ceux-ci à la nature divine, par leur participation aux énergies qui rayonnent de la nature commune des trois Personnes divines, c’est-à-dire de Leur communauté aimante. Pour qu’elle puisse s’unir, dans une Personne divine, avec la nature divine, la nature humaine qui subsiste en plusieurs personnes doit avoir une certaine ressemblance avec la nature divine qui subsiste dans les Trois Hypostases de la Trinité. C’est justement parce qu’il est Lui-même unité sans confusion que Dieu veut aussi attirer à sa communion les personnes créées.
L’union de la nature humaine avec la nature divine dans une seule Hypostase est véritablement la plus grande qui puisse exister. En quelque sorte, tous nous sommes unis par notre nature dans l’Hypostase du Logos. Pour cette union suprême, Dieu a fait homme son Fils, afin que Celui-ci et, avec Lui, tous ceux qui s’unissent à Lui, reposent dans le Père en son humanité déifiée de même qu’il repose comme Dieu dans le sein aimant du Père (Ин.1:18). «L’incarnation et la Trinité sont inséparables; et contrairement à une certaine critique protestante, contrairement au libéralisme, qui cherche à s’opposer à l’Evangile, nous devons souligner que la triadologie orthodoxe a ses racines dans l’Evangile. Est-il possible de lire l’Evangile et ne pas se demander: qui est Jésus? Et lorsqu’on entend la confession de Pierre: “Tu es le Fils du Dieu vivant” (Мф.16:16), lorsque l’évangéliste Jean nous découvre l’éternité du Fils, nous comprenons que la seule réponse possible nous est donnée par le dogme de la Sainte Trinité: le Christ est le Fils unique de Dieu, Dieu égal au Père, identique à Lui quant à la divinité, et distinct de Lui en tant que personne37.»
Le caractère inséparable de l’incarnation et de la Trinité se marque non seulement dans le fait que le Christ manifeste le Père, mais aussi dans le fait que le Père se manifeste Lui-même dans le Christ, qu’il est présent en lui par l’Esprit Saint et parfois atteste directement que «Celui-ci est Son Fils bien-aimé» (lors du Baptême et de la Transfiguration). En général, le Père, par l’Esprit, conduisait l’humanité vers le Christ, avant l’incarnation du Verbe, et Il le fait d’une manière plus évidente après cette incarnation.
Saint Cyrille d’Alexandrie dit à ce sujet: «Donc le Père conduit vers le Fils, par la connaissance et par la donation d’une vie divinement inspirée, ceux auxquels II décide de donner Sa grâce. En recevant ceux-ci, le Fils leur donne la vie, 11 [...] répand en eux, comme des étincelles de feu, la puissance vivifiante du Saint-Esprit et les transforme totalement en vue de l’immortalité38.»
Et plus loin il ajoute: «Car c’est par tous les deux (le Père et le Fils) que vient la transformation de chacun; le nom de tous les deux va de pair pour les hommes39.»
g) Le rapport entre la Trinité et la Résurrection, ou entre la source du salut et l’ultime accomplissement de celui-ci
L’Incarnation du Logos, manifestation de l’amour de la Trinité pour les hommes, fonde notre communion éternelle avec la Trinité. Or cette communion se réalise par la Résurrection. Dans la résurrection du Christ agit et se révèle à nouveau, d’une manière encore plus manifeste, la Trinité tout entière, désormais à jamais ouverte pour une communion parfaite avec nous. Selon saint Cyrille d’Alexandrie, la Trinité et la Résurrection sont les dogmes fondamentaux. Et il y a un lien étroit entre Trinité et Résurrection. Elles sont Yalpha et l’oméga du salut «car ce n’est pas la nature du corps qui est devenue la source de la vie, mais cela s’est accompli par l’œuvre de la nature divine et ineffable qui a en elle la force de vivifier toutes choses d’une manière naturelle.
«Le Père a agi par le Fils sur ce temple divin (le corps du Christ), non parce que le Logos ne pouvait pas ressusciter Son propre corps, mais parce que tout ce que fait le Père, le Fils le fait aussi (car Il est la puissance du Père), et ce qu’accomplit le Fils vient certainement du Père [...]. La parole de notre espérance et la force de notre foi se sont tournées, après la confession de la Sainte et consubstantielle Trinité, vers le mystère concernant le corps, et le bienheureux évangéliste a utilement exposé cela dans ses derniers chapitres40.»
La Résurrection ne peut s’expliquer sans la Trinité. Toute l’économie du salut entreprise par la Trinité s’achève dans la Résurrection. Et par la Résurrection se communique la vie divine commune aux trois Personnes, et par là ceux qui croient sont reçus à l’intérieur de la communion trinitaire. Il est difficile de savoir si nous entrons dans la communion avec les Personnes divines et entre nous parce que nous recevons la vie plus forte que la mort, c’est-à-dire la vie divine, ou si nous recevons cette vie parce que nous entrons en communion avec les Personnes de la Trinité.
La vie divine se communique par les Personnes de la Trinité, qui nous accueillent dans leur communion. Hors de la Sainte Trinité, cette vie ne peut subsister. La communion entre les personnes n’est pas une relation non substantielle, l’essence ne subsiste que dans des personnes en communion. L’union paradoxale signalée par Vladimir Lossky entre l’incarnation et la Trinité apparaît aussi entre la Résurrection et la Trinité.
Les Pères, qui ont vécu encore à une époque où la notion de personne et de communion inter-personnelle n’était pas suffisamment développée, mettent davantage l’accent, en ce qui concerne la Résurrection, sur la participation de la nature humaine à la vie divine incorruptible. Cependant ces ceux aspects forment un tout. L’incorruptibilité vient de la perfection de la communion, donc de l’amour trinitaire.
Saint Cyrille d’Alexandrie, bien que, dans la compréhension de la Résurrection, il semble ainsi mettre l’accent sur la vie divine communiquée à l’humanité, considère la Résurrection comme étant justement l’œuvre des Trois Personnes Divines: la vie éternelle qui subsiste dans la Personne du Logos se communique, par Lui, aux personnes humaines accueillies ainsi dans la communion trinitaire. Au fond, saint Cyrille inclut dans la compréhension de la Résurrection autant la communication de la vie divine à l’humanité que la réception dans la communion de la Sainte Trinité, de la nature humaine «enhypostasiée» dans le Logos. La Résurrection est l’œuvre commune de la Trinité, car c’est par la communion que se communique à la nature humaine la vie incorruptible et éternelle, et cette vie se communique de chaque Personne divine en union avec les Autres. «Car le corps déchu appartient à Celui qui est de la race de David selon la chair, c’est-à-dire au Christ qui, le premier, a été élevé à l’incorruptibilité par le Dieu et Père41.»
«Cela a été dit aussi par l’apôtre Pierre: “Dieu l’a ressuscité, brisant les liens de la mort, car il n’était pas possible que la mort s’empare de Lui” (Деян.2:32). La glorification que le Christ reçoit du Père pour avoir sauvé l’homme, le Père la reçoit aussi de la part de l’homme sauvé en Christ. Car Il s’est révélé Père de Celui qui élève l’homme à une telle grandeur42.»
Si la mort est solitude, Dieu, en tant que vie incorruptible, est communion parfaite et donne cette vie à ceux qui croient en Lui, Il les reçoit dans cette communion. Plus la communion est profonde, plus la vie spirituelle est intégrale. Cette vie ne peut être réduite à une communion vide, pas plus que la communion ne réside dans une relation où ne se communique pas la vie. Ces deux aspects de la réalité personnelle sont mystérieusement et indissolublement liés.
C’est pourquoi saint Cyrille d’Alexandrie attribue au Saint-Esprit un rôle spécial dans la communication de la vie divine. Il communique à la nature humaine d’abord la force de subsister dans la Personne du Logos, par le dépassement des lois de la nature et de leurs cycles clos. Mais cette force spirituelle ne se trouve que là où existe une communion parfaite. Ensuite, l’Esprit Saint communique cette puissance spirituelle, parce qu’il est l’Esprit de la communion, et la communion parfaite ne se trouve que là où la dualité est surmontée. Si une personne qui ne communique pas sa nature s’y dissout, deux personnes risquent aussi de sombrer dans la monotonie de la nature par une communication exclusive, close, égoïste entre elles.
C’est seulement lorsqu’il y a trois personnes qu’il est possible de maintenir un renouvellement permanent tant pour chacune d’elles que dans les relations de l’une à l’autre. C’est seulement lorsqu’il existe trois personnes que celles-ci ne se confondent ni ne se séparent. Seule une troisième personne maintient l’unité sans confusion et la largeur de l’amour entre deux personnes. Seul le dépassement de la dualité donne à la vie toute sa richesse, et, à Dieu, son caractère illimité. Le Christ reçoit, en tant qu’homme, l’Esprit Saint parce qu’il est reçu en tant qu’homme dans la communion parfaite de la Trinité, afin que par Lui nous y soyons tous aussi reçus, par la grâce.
C’est pourquoi l’Esprit Saint remplit de vie divine l’humanité du Christ aussi après Sa naissance. Saint Cyrille d’Alexandrie dit: «C’est parce que le Logos de Dieu est devenu homme qu’il reçoit l’Esprit du Père comme étant l’un d’entre nous, car il ne reçoit pas quelque chose pour Lui (comme Dieu), étant le donateur de i’Esprit [...]. Lui, qui n’a pas connu le péché, reçoit, en tant qu’homme, I’Esprit Saint, afin de l’obtenir pour notre nature et d’enraciner à nouveau en nous la grâce qui nous avait quittés43.»
Le Christ vit cette communion parfaite avec le Père et I’Esprit jusque dans Son corps et par là Son corps est rempli d’une vie divine incorruptible et devient le lieu des énergies divines. «Il remplit tout Son corps de l’œuvre vivifiante du Saint-Esprit.» Son corps devient tellement capable de s’emplir d’Esprit de toute Sa sensibilité transparente à celui-ci qu’il est lui-même appelé Esprit. «D’ailleurs Il appelle ici Son corps Esprit, mais cela ne détruit pas le fait que le corps est le corps. C’est parce que Son corps est au maximum uni à Lui et revêtu de toute Sa puissance vivifiante que ce corps est appelé “Esprit”. Car par I’Esprit, le corps aussi se rend vivifiant, parce que I’Esprit transforme et transfigure le corps qui reçoit Ses énergies44.»
S’il en est ainsi, I’Esprit a un rôle aussi dans la résurrection corporelle du Christ.
La «pneumatisation», la communion et la force vivifiante travaillent ensemble. C’est par la Résurrection que le corps atteint sa plus haute spiritualité. Car dans le corps ressuscité, I’Esprit qui représente la plénitude de l’unité sans confusion des Personnes divines, produit Son effet plénier sur l’humanité du Christ, élevant celle-ci à la communion trinitaire. Et cela non seulement pour que le corps du Christ, qui n’a pas d’hypostase humaine propre, participe à la communion de Son Hypostase divine avec les autres Personnes trinitaires, mais pour que, par ce corps, le Christ réalise une communion parfaite avec nous, et nous attire nous aussi dans la communion trinitaire. Mais, dans cette perspective, nos corps doivent eux aussi se spiritualiser, et finalement assumer la spiritualité intégrale de la Résurrection, spiritualité dans laquelle existe le corps du Christ. Un corps dépourvu de toute spiritualité n’est capable d’aucune communion, ou empêche toute aspiration à la communion qui pourrait se trouver dans l’âme; et par là il est incapable de se libérer dans une certaine mesure au moins des lois de la nature qui se répètent automatiquement.
h) Le dogme de la récapitulation étemelle en Christ, opérée par l’Esprit
La Trinité a décidé l’incarnation, la crucifixion, la résurrection et l’ascension au ciel, comme homme, d’une de Ses Personnes, afin que cette Personne récapitule en Elle tous les hommes et les amène ainsi à la communion éternelle avec le Dieu trine. C’est un mouvement circulaire qui part de la Trinité vers les hommes pour les amener dans la Trinité. C’est un mouvement de la Trinité vers nous, pour revenir à Elle-même avec nous. Une Personne divine descend de la Trinité pour y revenir non seulement comme personne divine, mais aussi comme personne incarnée, ayant uni à Soi toute l’humanité pour une communion avec la Trinité infinie.
Saint Cyrille d’Alexandrie dit encore: «Le sage Paul, expliquant le but unique, vrai et intégral de l’incarnation du Monogène déclare: “Dieu a bien voulu récapituler toutes choses en Christ” (Еф.1:10). Et le nom et le fait de la récapitulation indiquent le rétablissement dans leur état originel de ceux qui avaient cru en ce qui leur était contraire45.»
C’est dans l’œuvre de cette récapitulation que le Saint-Esprit reçoit le rôle principal, mais non pas séparé du Christ ni du Père. «Bien que le Christ fût ressuscité d’entre les morts, l’humanité ne recevait pas encore l’Esprit que le Père donne par le Fils. Car c’est seulement après que le Christ fût monté vers son Dieu et Père qu’il nous a envoyé l’Esprit. C’est pourquoi II a dit: “C’est votre avantage que je m’en aille; en effet si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous: si, au contraire, je pars, je vous l’enverrai” (Ин.16:7)46.»
Il fallait que le Christ s’élève corporellement à la parfaite spiritualité et communauté avec le Père, pour que par Son corps, arrivé à la capacité suprême d’irradiation spirituelle, se répande l’Esprit. D’autre part, l’entrée de ceux qui croient dans la communion trinitaire se fait seulement quand une Personne divine reflète dans Son œuvre non seulement sa communauté avec une autre Personne divine mais avec les deux Autres ensemble. C’est pour cette raison qu’une Personne est toujours envoyée par les deux Autres dans leur unité sans confusion.
L’Esprit crée la communion entre nous parce qu’il est cette communauté sans confusion de toute la Trinité. C’est l’Esprit Saint qui transforme la création en Église. Il est toujours entre Dieu et les hommes qui croient. Par Lui la Révélation du Christ devient effective dans les hommes, car c’est par Lui que se produit en eux la foi. Par Lui la Révélation se dévoile dans toute son évidence et son efficacité et dans un contenu que l’on découvre de plus en plus riche. La Révélation s’est achevée en Christ, mais elle se manifeste à toutes les générations et celles-ci la valorisent par l’Esprit. C’est par l’Esprit que les hommes participent toujours davantage aux biens infinis qui se trouvent dans le Christ, grâce à leur foi en Lui. Et la foi n’est jamais d’un seul homme, mais de plusieurs. Là où un homme peut communiquer la foi et un autre la recevoir, c’est là que l’Esprit Saint agit entre eux et entre eux et Dieu. L’Église naît par la descente de l’Esprit Saint, en qui naît la foi. Et cette foi naît dans plusieurs, et ils sont remplis par l’élan de la transmettre. C’est pourquoi l’Esprit descend sous la forme de plusieurs langues de feu. L’Église continue par Lui, parce que par Lui continue la transmission de la foi d’homme à homme, d’une génération à l’autre, par un langage de feu.
L’Église prend naissance à la Pentecôte, parce qu’à ce moment-là descend l’Esprit Saint qui donne aux apôtres ce feu et la compréhension de tout le trésor qui est offert en Christ. Saint Cyrille d’Alexandrie dit à ce sujet: «Lorsque ceux qui avaient connu le Christ devaient communiquer à chaque langue et à chaque nation la prédication évangélique et salvatrice, ils recevaient le signe des langues.» «Dieu leur a distribué des dons différents, pour que, de même que ce corps terrestre se compose de petites parties, de même le Christ ou Son corps se compose d’une manière toute parfaite de la multitude des saints arrivés à l’unité spirituelle47.»
3) La théologie, service ecclésial d’explication et d’approfondissement des dogmes, et renouvellement diaconal de l’Eglise
a) Le caractère défini des formules dogmatiques et leur interprétation théologique jamais terminée
Les dogmes – en tant qu’expression doctrinale du plan de salut et de déification, plan réalisé par le Christ et par l’Esprit Saint à travers l’ Église, ou comme expression des «trésors de sagesse» et de vie divine mis à notre disposition dans le Christ pour être assimilées par nous au cours de la vie terrestre et, intégralement, dans la vie éternelle –, les dogmes ont besoin d’une actualisation permanente à cause de leur contenu infini. C’est l’ Église qui accomplit cette oeuvre par la théologie.
Les résultats de l’explication théologique entrés dans l’usage permanent de l’Eglise deviennent la doctrine de celle-ci, qui est identique à la Tradition ecclésiale au sens large. Car la Tradition suppose une compréhension toujours plus riche de l’Écriture et de la Tradition apostolique, au service de la prédication et de la diaconie sanctifiante et pastorale de l’ Église.
Les croyants ne peuvent se borner à répéter les formules schématiques des dogmes, ils cherchent à pénétrer dans la profondeur infinie de leur signification, avec l’aide d’une interprétation fondée sur l’Écriture dans la Tradition. La théologie est ainsi une nécessité imposée à l’ Église par le besoin d’expliquer aux croyants les points fondamentaux de la foi.
La nécessité de cette explication théologique résulte d’abord du fait que les dogmes sont des formules succinctes qui expriment tant le rapport du Dieu infini avec la créature finie, sur le chemin sans limites de celle-ci vers l’infini, que l’action ininterrompue de Dieu pour le salut et la déification de la créature. Par conséquent les dogmes, bien que définis dans leur forme, ont un contenu infini, qui exige d’être constamment et toujours davantage mis en évidence, sans qu’il puisse jamais être épuisé. Dans Son effort pour faciliter notre accomplissement, Dieu s’oriente aussi selon les circonstances nouvelles dans lesquelles nous vivons, et cette action toujours renouvelée nous apparaît sous des aspects toujours nouveaux.
Le caractère défini des formules dogmatiques ne contredit pas leur contenu infini, mais l’assure. Le fait même que quelque chose existe le définit par rapport à ce qui n’existe pas. C’est seulement le néant qui ne se définit aucunement. A juste raison le physicien Bernhard Philibert observe que «la frontière ultime qui fonde l’être de ce qui existe, c’est la frontière envers le rien. Ce qui est se distingue du rien. Ce qui est a une existence qui se manifeste d’une manière changeante. Le rien, lui, n’a aucune frontière, aucune distinction, aucune existence qui se manifeste d’une manière changeante. Dans le rien sont annulées et la frontière et la distinction et la possibilité d’une manifestation changeante48».
Le dogme de l’union de la nature divine avec la nature humaine dans une seule Personne sans altération ni confusion met une frontière précise, rigoureuse entre lui-même et toute autre affirmation et définition; il unit en même temps deux grands mystères, les mystères fondamentaux de l’existence. C’est précisément par la définition dogmatique de cette union que s’affirment et se maintiennent à la fois l’infinité divine et la participation humaine à cette infinité.
Renoncer à cette définition dogmatique, c’est admettre la suppression soit de l’infini et de l’absolu divins, soit de la participation humaine à cette infinité, participation qui ne supprime pas mais accomplit l’homme. Car ce dogme affirme que, par la participation à l’existence divine infinie, l’homme est assuré dans son existence propre, non seulement face au néants mais aussi par rapport à Dieu. Le dogme chrétien portant sur l’union de la nature divine et de la nature humaine dans la Personne du Logos ne préconise pas la dissolution de l’homme dans l’infinité de Dieu. Il met en évidence le maintien de l’homme en tant que tel même au niveau de cette union suprême entre le divin et l’humain; et de plus, il assure à l’humain un développement infini.
Le mystère de la communion entre les personnes se caractérise précisément par ce paradoxe: l’union et la différence. L’amour entre les personnes réalise l’union entre elles, mais en même temps il produit la joie de l’une envers l’autre pour son altérité même et donc la distinction entre elles. Dieu en tant que personne reste toujours un Tu distinct pour l’homme uni à Lui. Dans la communion des personnes, chacune reste en même temps une frontière pour l’autre ; chacune porte en soi l’autre, mais en tant que distincte. Dans cette intériorisation réciproque, l’altérité subsiste. Selon la foi chrétienne l’homme reste défini en tant que tel même dans l’union suprême avec Dieu et dans la participation à l’infinité de Dieu. Ou plus précisément, celui qui croit approfondit au maximum sa singularité par sa communion même avec Dieu.
Les différences se maintiennent strictement, bien qu’elles deviennent intérieures; ou se maintiennent précisément parce qu’elles sont réciproquement intérieures. Ce fait est vrai aussi du monde dans l’unité et la variété de ses composantes, ou dans sa relation éternelle et parfaite avec Dieu. C’est la signification la plus profonde de la transcendance de Dieu. S’il n’y avait pas un absolu transcendant, mais si l’absolu était immanent et impersonnel, toutes choses se transformeraient en toutes choses, car dans cet absolu toutes choses se confondraient d’une manière indistincte, comme dans une essence identique.
Les dogmes sont des définitions ou «délimitations» (horoï) strictes. Ils délimitent l’infinité de Dieu par rapport au fini et donc la capacité d’un progrès spirituel illimité de l’homme, ils suggèrent l’infinité de Dieu et la capacité d’infini de l’homme, capacité solidaire de l’infinité de Dieu, avancée constante en celle-ci. Le renoncement à pareilles délimitations, qui fondent des tensions dynamiques, transformerait la profondeur illimitée de l’existence harmonieuse de Dieu et de l’homme en une platitude sans signification, où tout est possible sans doute, mais jamais rien de vraiment nouveau ni profond. Les dogmes sont des formules assez générales; ils n’entrent pas dans les détails. Mais c’est précisément par là qu’ils s’ouvrent sur l’infinité. Toutefois, leur généralité ne signifie pas le manque de toute précision, car les structures fondamentaies du salut sont bien précisées dans le contour général des dogmes.
On a remarqué le caractère paradoxal des formules dogmatiques. Ainsi, Dieu est un quant à l’essence et trine quant aux personnes, Il est immuable et pourtant vivant, actif et nouveau dans Son action; le Christ est à la fois Dieu et homme; l’homme reste toujours un être créé et cependant il est déifié. Ainsi le paradoxe est partout présent. Il est particulièrement propre à la personne, parce que celle-ci n’est pas soumise à une loi uniformisante et qu’elle peut tout embrasser. La personne est une unité, mais d’une richesse infinie; elle est toujours la même et pourtant elle est infiniment diverse et nouvelle dans ses manifestations et ses états. Les relations entre les personnes manifestent plus encore ce caractère paradoxal. L’homme est autonome et pourtant il ne peut vivre et se réaliser qu’en communion avec les autres. Toute réduction forcée d’un des aspects de l’existence humaine à un autre produit en elle une souffrance, car cette réduction est contraire à l’existence de la personne. Même dans ses relations avec le monde, la personne manifeste son caractère paradoxal: elle embrasse le monde dans toute sa variété, l’amenant à l’unité, et pourtant elle reste en elle-même distincte et une et perçoit le monde dans sa variété. D’autant plus inévitable est le paradoxe dans les relations du Dieu infini avec le monde limité et créé: le Dieu-Un, dont la vie surpasse toute compréhension, existe dans un amour interpersonnel.
Les formules dogmatiques sont paradoxales parce qu’elles comprennent en elles les aspects antinomiques de la réalité vivante, dont la richesse est inépuisable. Ainsi, les dogmes expriment tout en eux: l’infini et le fini, unis, sans séparation ni confusion, dans tous leurs aspects.
La théologie a pour objet de sa réflexion sans fin le contenu tout-englobant et infini des formules dogmatiques, qui posent strictement, en tensions vivantes, tous les aspects de cet inépuisable et complexe infini. Cependant la théologie, à son tour, doit rester dans le cadre des formules générales et pourtant précises des dogmes, précisément pour maintenir ceux-ci comme objet d’une réflexion et d’un approfondissement proprement sans fin.
La nature divine, la nature humaine, surtout unies dans la Personne divine du Christ, contiennent et offrent à la réflexion un contenu illimité.
Jamais on n’épuisera l’explication des natures divine et humaine dans leur richesse de vie et en même temps dans leur caractère inaltérable, de même qu’on ne peut épuiser la description de la profondeur et de la complexité de leur union dans une Personne qui est Elle-même un mystère toujours nouveau et pourtant inaltérable.
Toute la théologie qui explicite le contenu infini des dogmes est une expression élargie de ceux-ci.On a proposé une distinction entre dogmes et théologouména. Les dogmes seraient des formules établies par l’Église, et les théologouména, des explications théologiques qui n’ont pas encore reçu une formulation ecclésiale officielle mais dérivent des dogmes. Or, cela impliquerait, à côté de cette distinction, une autre encore entre les explications considérées comme théologouména et les autres explications. Alors pourquoi les théologouména ne seraient-ils pas, eux aussi, organiquement liés aux dogmes, s’ils résultent de ceux-ci?
En fait, toutes les explications des dogmes, si elles restent dans le cadre de leur formulation, se lient organiquement à eux. Si elles ne restent pas dans ce cadre, elles ne peuvent être tenues ni pour des théologouména ni pour quelque explication positive que ce soit, aujourd’hui ou dans on ne sait quel avenir. Elles sont des explications que l’Église n’assimile pas comme des interprétations de ses dogmes et, par conséquent, avec le temps, elles tombent en désuétude.
Bien que toute vraie théologie faite à l’intérieur de l’Église interprète le contenu de ses dogmes, l’Église n’investit pourtant pas de son autorité doctrinale n’importe quelle explicitation. Il importe que ces formules aient autorité par le fait même qu’elles sont impliquées dans les dogmes déjà précisés. L’Église multiplie sans cesse ses interprétations, mais elle concentre dans une formule strictement dogmatique l’explicitation la plus riche d’une formule antérieure seulement quand elle doit faire face à quelque explicitation non organique et que celle-ci commence à produire des confusions et des séparations parmi les fidèles.
b) La théologie et l’enseignement de l’Église
Lorsque les recherches théologiques sont des explicitations organiques des dogmes et s’affirment utiles au renouvellement de la vie ecclésiale – et par conséquent entrent dans la prédication générale et permanente de l’Église – elles prennent place dans l’enseignement de l’Église, considéré au sens large du mot.
C’est ce qui s’est passé avec presque toute la théologie des Pères. Il y a entre les dogmes et l’enseignement de l’Église, d’une part, une identité de fond, et d’autre part, une distinction de forme. D’une part, l’enseignement vient organiquement des dogmes, étant l’explicitation de leur contenu. Mais d’autre part, tant qu’un enseignement n’est pas officiellement défini par les conciles œcuméniques, ou assimilé par le consensus des conciles locaux, il reste un enseignement ecclésial au sens large.
Cet enseignement a autorité de Tradition ecclésiale s’il entre dans l’usage général de l’Église, mais il n’a pas cependant l’autorité qu’ont les définitions dogmatiques et les articles de foi sur lesquels se sont officiellement prononcés, dans un consensus, les conciles locaux. Il a donc une autorité ecclésiale dans son contenu général, mais non l’autorité des formules dogmatiques.
L’Église accroît ainsi son enseignement, mais elle conserve en même temps les thèmes dogmatiques fondamentaux. Elle élargit son enseignement par la théologie, parce qu’elle interprète ces thèmes pour chaque génération de fidèles, conformément au niveau de développement spirituel dans lequel se trouvent ceux-ci.
La théologie réfléchit sur le témoignage et le vécu initial de la Révélation que nous trouvons dans l’Écriture et dans la Tradition apostolique, dans le but de faire de ce témoignage un facteur de salut pour chaque génération de croyants. Tous les membres de l’Église, dans ce sens, ont toujours fait de la théologie. De la théologie ont fait aussi les apôtres, qui n’ont pas seulement reçu et transmis la Révélation, mais l’ont vécue et présentée dans le contexte de la compréhension contemporaine. De la théologie ont fait aussi les Pères, et en fait chaque prêtre qui interprète la Révélation, afin que celle-ci soit vécue par ses fidèles.
Pourtant, ce n’est pas toute théologie qui devient enseignement d’Église, mais seulement celle que l’Église assimile par son consensus unanime dans le temps et dans l’espace. Et l’Église assimile seulement la théologie dont le temps montre qu’elle a été en continuité organique avec le grand fleuve de la vie chrétienne dont la source se trouve en Christ; elle assimile seulement la théologie qui, avec le temps, montre qu’elle a interprété authentiquement le vécu de la Révélation concentrée dans le Christ. Même de la théologie faite par les théologiens, il y a beaucoup de choses qui ne sont pas assimilées par l’enseignement de l’Église et qui, par là, s’avèrent caduques.
Il y a donc une différence entre l’enseignement de l’Église dont le caractère est obligatoire et permanent et la théologie qui peut contenir des explications liées à une certaine époque et qui furent peut-être courantes dans l’Église à tel moment. Il ne s’agit pas alors de la théologie que l’Église élabore en sa qualité de communion unitaire, mais de celle que font certains de ses membres, évêques, prêtres, laïcs, d’une manière en quelque sorte individuelle.
L’enseignement de l’Église se constitue par ce que l’Église, en sa qualité de corps unitaire, communiant, retient comme valeur permanente de la réflexion théologique des individus, souvent donc suscitée par les besoins des différentes époques. Ainsi se réalise la théologie de l’Église dans sa qualité de corps unitaire, de communion.
Par conséquent, on fait de la théologie dans l’Église et l’Église en conserve comme enseignement permanent ce qui explicite authentiquement le plan de déification de l’homme. La théologie s’élabore dans l’Église par la réflexion personnelle de ses membres, et l’enseignement se constitue de ce qui reste permanent de leur réflexion devenue communiante, reçue comme théologie de l’Église en tant que corps unitaire.
Dans l’Orthodoxie en effet, c’est l’Église qui est tenue pour indéfectible, à la fois parce qu’elle est guidée par le Saint-Esprit, et en sa qualité de Corps total du Christ qui garde le «dépôt» hérité par la vie, Corps représenté dans les conciles par les évêques. L’Église en sa totalité réalise par l’Esprit Saint, l’Esprit de communion, une sorte de symphonie des réflexions personnelles. De ce Corps font partie tous les membres de l’Église, et tous font plus ou moins de la théologie. Et de leur communion dans l’Église résulte l’enseignement indéfectible de celle-ci, enseignement qui cependant s’avère tel seulement après que s’est écoulé un temps suffisant.
La théologie au sens limité, en tant qu’expression des théologiens est, elle aussi, guidée par la responsabilité pour le salut des fidèles, responsabilité propre aussi aux pasteurs de l’Église (et en particulier pour le salut des fidèles de l’époque où se fait la théologie), et d’autre part, elle s’oriente selon la foi et l’expérience spirituelle de l’Église. «L’option arbitraire» (hairésis), peut relever parfois aussi des membres de la hiérarchie. Mais l’Église, dans sa totalité de Corps du Christ, reste finalement indéfectible et rejette ce qui met en péril le salut de ses fidèles, que cela émane des théologiens, des évêques ou des laïcs.
c) La responsabilité de la théologie pour la vie ecclésiale et son progrès spirituel
Le progrès de la théologie est rendu possible par l’infinité divine offerte dans le Corps du Christ, mais il est nécessaire de rendre cet infini accessible aux croyants de chaque époque, dont le niveau de compréhension et de vie spirituelle résulte aussi de l’apport des générations antérieures, de leurs efforts spirituels. Ces croyants font partie de l’Église et leur salut se réalise dans leur communion même. Les théologiens doivent intégrer leur service dans cette œuvre de salut des croyants de chaque époque. C’est pourquoi la réflexion théologique personnelle doit être animée non par un désir d’originalité à n’importe quel prix, mais par l’interprétation de l’héritage commun et pour servir le salut des fidèles d’une époque particulière; elle doit être intimement liée à la vie de prière et de diaconie de l’Église, afin d’approfondir et de renouveler cette vie. Sans cela, l’Église risque de devenir formaliste dans sa diaconie, et la théologie, froide et individualiste.
Les résultats de la réflexion théologique personnelle seront d’autant plus sûrement intégrés dans l’enseignement de l’Église que celle-ci sera nourrie de la vivante Tradition et la mettra en pratique dans la prière, le culte, la spiritualité, dans le dialogue vivant de l’Église avec le Christ: car l’Église est elle-même un dialogue avec le Christ, et c’est ainsi qu’elle se renouvelle. C’est pourquoi on a dit: «Si tu es théologien, tu pries vraiment; et si tu pries vraiment, tu es théologien49.» «D’abord la prière et ensuite la parole» disait saint jean Chrysostome. De même les apôtres: «Et nous, nous continuerons à nous appliquer à la prière et au ministère de la parole.» Or la prière est plus fervente lorsqu’elle se fait en commun. Et dans la prière commune se réalise aussi la communauté de pensée. C’est toujours saint Jean Chrysostome qui dit: «Il est possible que tu pries aussi à la maison, mais il est impossible que tu y pries comme à l’église. Lorsque tu appelles Dieu, tout seul, tu n’es pas écouté comme tu l’es quand tu pries avec tes frères. Car il y a quelque chose de plus: c’est l’unité dans la pensée et dans les paroles et le lien de l’amour [...] et la prière des prêtres50» (c’est-à-dire les sacrements, et surtout l’eucharistie).
Le théologien doit participer à la prière et à toute la vie de l’Église, car la théologie a pour but de connaître et de faire connaître Dieu. Mais on ne peut le connaître si l’on n’entre pas dans un rapport personnel d’amour avec Lui et avec les croyants, par la prière et le service. Par conséquent, celui qui prie avec les autres membres de l’Église est davantage théologien. Car dans leur amour commun envers Dieu se découvre davantage l’œuvre de son amour qui sauve et accomplit. Dans les prières de l’Église, dans son culte, respire un esprit d’unité, et se fait transparent l’horizon eschatologique, le but qui est l’accomplissement en Christ. Une théologie qui se nourrit de la prière et de la vie spirituelle de l’Église est une théologie qui les manifeste et les approfondit, qui s’enracine dans l’œuvre ecclésiale de sanctification et de diaconie.
Bien plus, le théologien doit tenter de vivre de plus en plus pleinement la spiritualité si caractéristique de l’Église orthodoxe. Tous les Pères de l’Église ont affirmé que personne ne peut approcher Dieu par l’intelligence s’il ne s’est auparavant libéré des «fassions», c’est-à-dire de toutes les formes de l’idolâtrie. Saint Grégoire de Nazianze dit: «Veux-tu devenir théologien et digne d,e Dieu? Alors témoigne par ta vie, acquiers la pureté par la purification ; observe les commandements; d’abord purifie-toi toi-même, puis approche-toi de Celui qui est pur51!»
C’est pourquoi les Pères cappadociens parlent du «mystère de la théologie». Saint Grégoire de Nysse écrit: «La théologie est une montagne haute et difficile à gravir. C’est avec peine qu’on arrive à son pied. Et cela, seul peut le faire celui qui est fort52.»
En se référant à ces expressions patristiques, le théologien grec Karmiris note: «De ceci il ressort clairement que seul le théologien croyant, pieux et purifié peut s’approcher dans une certaine mesure de Celui qui est absolument pur, de Dieu et de la réflexion théologique le concernant.»
D’autre part, l’inspiration de l’Esprit est nécessaire aussi pour une vraie théologie. «Sans le souffle et la collaboration du Saint-Esprit – continue Karmiris – il n’y a pas de théologie orthodoxe authentique. C’est pourquoi les théologiens orthodoxes contemporains doivent devenir, par la foi et la sainteté de leur vie, des vases dignes du Saint- Esprit, de véritables pneumatophores, “remplis de l’Esprit” (cf. Деян.6:3) qui les éclairera, les conduira à la contemplation théologique [...] et donnera à chacun, d’une manière absolument unique et personnelle et “selon la mesure du don du Christ”, Sa grâce éclairante53.»
Le progrès de la théologie s’explique aussi par le progrès spirituel de l’humanité à travers le temps et par les problèmes nouveaux en fonction desquels se réalise ce progrès. En résumé, le progrès réel de la théologie et par là sa justification comme théologie vivante – car sans un tel progrès la théologie n’apparaît pas comme justifiée, étant une insuffisante répétition des formules anciennes – ce progrès est lié à trois conditions:
1) la fidélité envers la Révélation en Christ, exprimée par l’Ecriture dans la Tradition et expérimentée sans cesse dans
la vie de l’Eglise;
2) la responsabilité envers les fidèles de l’époque où se fait cette théologie;
3) l’ouverture à l’avenir eschatologique, c’est-à-dire l’obligation de guider les croyants vers leur accomplissement parfait dans cet horizon ultime.
Ne pas satisfaire à l’une ou à l’autre de ces conditions, c’est élaborer une théologie insuffisante et largement inutile, ou même, parfois, nuisible à l’Eglise et à ses fidèles.
La théologie qui se borne à répéter les paroles et les formules du passé est une théologie insuffisante. Dommageable aussi est la théologie qui se renferme dans les formules d’un système révolu, en les confondant avec la Révélation même, comme l’a fait pendant des siècles la théologie catholique romaine en répétant les formules scolastiques; ou parfois même des théologiens orthodoxes, répétant commodément les formules devenues opaques de certains manuels du xixe siècle, influencés par la pensée scolastique et faisant de ces formules un critère infaillible de jugement pour l’Orthodoxie. C’était une théologie qui empêchait tout renouveau et tout progrès spirituels, une théologie qui avait perdu entièrement tout sens dynamique, se contentant de refléter un ordre statique et extérieur qu’elle considérait comme parfait. Cela signifie un manque de responsabilité envers les croyants contemporains, donc envers le devoir de travailler pour le renouvellement religieux de notre époque. Cela signifie aussi un manque de responsabilité envers la richesse et la profondeur de la Révélation, exprimées dans la Sainte Ecriture et dans la Tradition apostolique et patristique.
Cette théologie-là était coupable d’une triple infidélité: énvers le caractère illimité de la Révélation, envers la contemporanéité et envers l’avenir.
La théologie est, bon gré mal gré, liée, selon les diverses époques, dans une certaine mesure, à la conceptualité du moment. C’est pourquoi l’enfermement de la théologie dans des concepts qui ont perdu leur portée avec la disparition de l’époque à laquelle ils avaient été empruntés, ainsi que la volonté de les maintenir constamment comme base de la théologie, font des formulations de celle-ci des éléments morts et aliénants pour la vie de l’Église et pour les croyants des époques qui se succèdent. Sur ce point s’applique particulièrement ce que nous avons affirmé plus haut: ce n’est pas la totalité de la théologie qui est assimilée par l’enseignement définitif de l’Église. L’Église assimile dans son enseignement seulement ce qui, en fait, devient évident pour toute époque.
C’est pourquoi il convient que la théologie prenne de la réflexion de chaque époque ce qui s’affirmera constamment valable.
Cependant est davantage nuisible une théologie qui abandonne totalement la Révélation conservée dans la Sainte Écriture et la Tradition de l’Église en cherchant à s’adapter exclusivement à ce qu’elle tient pour l’esprit du temps. Telle est la théologie bultmannienne qui considère tous les événements fondateurs du christianisme comme des mythes. Telle fut la conception similaire de l’évêque anglican Robinson, ou la théorie d’un christianisme sans Dieu, représentée par le mouvement théologique américain de «la mort de Dieu».
Le christianisme ne peut être utile à aucune époque, ni par conséquent à l’époque présente, s’il n’apporte pas quelque chose que lui seul peut apporter: le lien avec la source infinie de force bonne qu’est le Dieu qui s’est fait homme. C’est seulement ainsi que le christianisme peuf servir le progrès de l’humanité, par une spiritualisation permanente.
Nous, les théologiens d’aujourd’hui, nous pouvons et il est de notre devoir de mettre en évidence plus que par le passé l’apport humaniste chrétien des principaux actes de la Révélation divine accomplie en Christ, – à savoir l’incarnation du Fils de Dieu, Son sacrifice sur la Croix, Sa résurrection et Son Ascension au ciel en tant qu’homme –, avec les conséquences qui en découlent pour le service de l’humanité et de la spiritualisation en général. Tel est le sens positif de l’ouverture de la théologie envers le monde, tout en restant fidèle à elle-même: qu’elle accorde toute l’attention au saeculum, en reconnaissant la consistance et la valeur propre du monde, et la nécessité de l’aider à se développer dans la perspective chrétienne de l’humain. Les dogmes de l’incarnation, de la résurrection, de la déification apportent une grande contribution à ce progrès de l’humain dans son authenticité.
L’union hypostatique des deux natures dans le Christ, contrairement au docétisme (la théorie selon laquelle l’humanité du Christ aurait été seulement apparente), signifie fondamentalement la fortification du relatif, du créé, par l’absolu et l’incréé.
Autant la théologie fixée dans les formules du passé est nuisible, autant la théologie attachée exclusivement au présent est insuffisante.
Mais aussi nuisible que génératrice de désordre est aussi la théologie qui n’accorde attention qu’à l’avenir, une théologie dominée par un esprit exclusivement eschatologique qui néglige la réalité de la vie présente et l’aide qu’on doit accorder à celle-ci. Cette théologie déprécie le présent, méprise le devoir de spiritualiser l’homme dans la concrétude de l’histoire et l’appel à servir nos semblables aujourd’hui même, sous prétexte de se préoccuper exclusivement de l’espérance eschatologique. L’attente tendue vers la vie d’après la fin du monde reçoit alors un accent presque exclusif.
Une théologie chrétienne intégrale et ouverte à un véritable progrès doit certainement être animée aussi par l’espérance et la perspective de l’avenir eschatologique, mais cette espérance et cette perspective sont soutenues par l’expérience présente d’un progrès continu de spiritualisation et de perfectionnement des relations d’amour entre les hommes. Vers cet avenir on avance par le progrès spirituel d’aujourd’hui dont la source fondamentale est la Révélation qui a culminé en Christ il y a deux mille ans, comme nous l’assurent les documents bibliques et le témoignage des siècles chrétiens jusqu’à aujourd’hui.
Or cette fidélité même envers les actes et les paroles du Christ, attestés par la prédication apostolique, permet à la théologie de progresser dans leur compréhension, en approfondissant le contenu indépassable et inépuisable de la Révélation54.
La théologie doit être, tout comme l’Église, apostolique, contemporaine de chaque époque et prophétique- eschatologique. Cependant elle ne doit pas, dans son progrès, se couper de l’Église mais avancer vers l’Église, qui est elle-même conduite en avant, vers le Royaume des cieux. Elle doit être apostolique, car il lui appartient d’être sans cesse un témoignage sur le Christ, de même que la prédication des apôtres fut un témoignage sur le Christ, Révélation définitive. En même temps, elle doit être eschatolo- gique, car dans le Christ et dans la prédication apostolique est comprise aussi l’ouverture eschatologique. La théologie ne doit pas être prophétique en ce sens qu’elle prophétiserait un degré plus élevé de révélation que la Révélation en Christ, mais elle est prophétique parce qu’elle ne cesse d’avancer dans la découverte des trésors cachés dans le Christ. Elle est prophétique en expliquant le Christ ressuscité qui constitue notre état dans la vie à venir, mais non en promettant un état futur au-delà du Christ. Ce caractère peut être appelé prophétique-eschatologique et non pas prophétique purement et simplement, parce qu’on ne prophétise pas autre chose que l’avenir donné dans le Christ.
La théologie chrétienne qui répond à toutes ces conditions favorise le progrès c’est-à-dire l’efficacité ininterrompue de la Révélation. Dans ce sens, elle est une théologie de la foi, de l’amour et de l’espérance. Par la foi, elle manifeste l’adhésion certaine à la révélation réelle de Dieu dans le Christ; par l’espérance, elle ouvre aux croyants la perspective de leur assimilation plénière des biens du Christ ainsi révélé; par l’amour, elle les aide à s’unir dès maintenant au Christ et entre eux-mêmes. Par la foi, elle reste fidèle à la révélation accomplie dans le passé; par l’espérance, elle est ouverte à l’avenir d’une participation totale aux richesses du Christ et conduit vers Lui; et par l’amour, elle soutient la participation actuelle à ces richesses, dans une communion toujours élargie avec le Christ et avec les frères.
Par ces trois attributs, la théologie est traditionnelle et en même temps contemporaine et prophétique-eschatologique. Elle est fidèle au passé, mais non enfermée dans le passé; elle est fidèle à l’humanité d’aujourd’hui, mais elle a son regard ouvert sur l’ultime. La théologie doit être ancrée dans le fondement stable posé par le Christ, mais en même temps elle rend accessibles les richesses du Christ aux hommes d’aujourd’hui et les prépare à participer pleinement à elles dans le siècle à venir qui déjà s’anticipe ici-bas dans la liturgie et la contemplation; par là elle constitue un ferment irréductible de progrès à toute époque.
D’autre part le progrès dans la compréhension des dogmes est possible parce que leur contenu est infini et, par conséquent, apophatique, parce qu’il ne pourra jamais être enclos par des notions et des paroles qui puissent l’épuiser. «L’apophatisme nous apprend à voir dans les dogmes de l’Église, avant tout un sens négatif, une défense à notre pensée de suivre ses voies naturelles et de former des concepts qui remplaceraient les réalités spirituelles. Car le christianisme n’est pas une école philosophique spéculant sur des concepts abstraits, mais, avant tout, une communion avec le Dieu vivant55.»
Le progrès prend la forme d’une accentuation plus forte tantôt d’un aspect de la richesse inépuisable des dogmes, tantôt d’un autre aspect, en fonction des préoccupations et de l’âge spirituel des croyants de l’époque respective. Toutefois cet aspect plus fortement accentué ouvre une compréhension élargie de tout le contenu des dogmes, et promet un avancement futur dans sa compréhension. «Dans l’histoire de la réflexion théologique se succèdent différentes périodes, comme des cycles dans l’enseignement de la foi, où un aspect de la tradition chrétienne reçoit une signification exclusive par rapport aux autres, où tous les thèmes de la doctrine sont traités, à un niveau ou à l’autre, en rapport avec un seul problème qui est devenu, pour la conscience dogmatique de ce moment-là, central56.»
Par la théologie qui s’élabore en elle, l’Église avance sous la lumière du «Soleil de justice», lumière qui s’accroît continuellement et la remplit toujours davantage. La marche permanente sous le même soleil, dont la manifestation pourtant s’amplifie, c’est la Tradition ecclésiale; et la lumière authentique du soleil, qui s’accumule comme dot de l’Épouse et comme bien inépuisable à interpréter par la quête et la célébration théologiques, devient l’enseignement de l’Église.
Cette lumière dont croît la théologie et que celle-ci amplifie en l’interprétant sous le soleil toujours accru de la Révélation, enrichit la Tradition ecclésiale et, en s’imprimant comme force transformatrice dans l’être des croyants, produit leur spiritualisation. Car la spiritualisation, c’est la manifestation graduelle de la présence du Christ à travers l’être des croyants, qui se transforment ainsi dans une ascension où s’affinent continuellement leur intelligence, leur sensibilité, leur délicatesse, leur amour mutuel, leur pénétration dans la complexité et la profondeur de la réalité divine et de la réalité humaine qui lui est unie.
La théologie s’accroît sous le soleil de la Révélation qui, une fois manifesté dans la Personne de Jésus-Christ, ne cesse de rayonner dans l’Église et dans ses membres, par cette lumière qui s’appelle Tradition; et son explicitation opérée par la théologie et assimilée par l’Église, c’est l’enseignement de l’Église. La théologie suit la trajectoire de ce soleil et son intensité grandissante dans l’être de l’Église comme communion qui amplifie la conscience ecclésiale et manifeste des nuances nouvelles au fur et à mesure que, sans changer dans sa nature, la lumière de l’Esprit sonde les profondeurs du Corps du Christ. Ainsi, la théologie s’ouvre toujours plus sur la perspective de la Parousie.
Cela, elle peut le faire en contemplant Dieu aujourd’hui, en préparant pour demain une contemplation plus ample, enyecevant dans la prière la force de Dieu qui a donné à l’homme, son image, cette impulsion dès l’origine, et qui a renouvelé totalement cette impulsion par l’incarnation, la Passion et la Résurrection de son Fils. La théologie sera vivante et bonne si elle s’élabore toujours devant la face de Dieu, pour aider les croyants à vivre de même manière. La théologie doit sentir Dieu dans les formules du passé, elle doit l’exprimer par des interprétations actuelles, elle doit remplir les hommes d’espérance et les inviter à avancer vers l’union avec Dieu dans le Royaume, un Royaume qui, par instants, s’anticipe dès maintenant.
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Ce texte reprend en partie l’allocution que j’ai prononcée à la remise du doctorat honoris causa au Père Dumitru Staniloaë par l’institut de théologie orthodoxe Saint-Serge, à Paris.
Mioritique: du titre de la ballade populaire Miortta (la petite brebis) qui chante la mort du berger et son mariage mystique célébré par la nature entière. Le mot mioritique a été forgé par les écrivains de l’entre-deux-guerres, attachés à définir le «spécifique» roumain. Il désigne un certain paysage géographique, celui des Carpathes, et un certain paysage intérieur – tendresse et sensibilité cosmique.
Ambigua, P.G., 91, col. 1180.
Par «rationalité», l’auteur comprend la structure et l’ordre intérieur constitutif des choses créées, c’est-à-dire ce qui permet qu’elles soient approchées et comprises par la raison humaine (N.D.T.).
Ambigua, P.G., 91, col. 1073.
Œuvres ascétiques, Athènes, 1893, p. 254.
Ambigua, P.G., 91, col. 1152.
Ibidem, col. 1160.
Ibidem, col. 1152.
C’est l’auteur qui souligne.
Sur l'incarnation du Verbe, 8, P.G., 26, col. 996 C.
L’explication de la divine Liturgie, ch. 37 ; P.G., 150, col. 450.
Saint Grégoire de Nazianze, Discours 31, 26–27 ; P.G., 36, col. 161.
Grégoire de Chypre, patriarche de Constantinople (1283–1289); P.G., 142, col. 240, 242, 257, 260, 267, 286.
Joseph Briennios, Vingt-quatre discours sur la procession du Saint-Esprit, Buzau, 1832 (en roumain).
Contra Maximin. Arian. Il, 20, 4; P.L., 42, col. 790.
De Spiritu Sancto, III, 1, 8 et 3; P.L., 16, col. 811–812.
L’Esprit Saint dans la tradition orthodoxe, éd. du Cerf, Paris, 1969, p. 87.
Op. oit., p. 89.
Op. cit., p. 90.
Saint Maxime le Confesseur, Centuries gnostiques, II, 28; dans la Philocalie roumaine, vol. II, p. 177.
Quaestiones ad Thalassium 22; Philocahe roumaine, vol. III, p. 70.
Centuries gnostiques II, 73 ; Philocalie roumaine, vol. II, p. 194.
René Voekzei, dans Actualité de la Révélation, Lettre ouverte adressée à Jean Fourastié (Journal Réforme, n° 19, 1974), déclarait dans une «Lettre ouverte aux théologiens»: «Une des plus grandes erreurs commises par l’Église est l’erreur absurde d’avoir arbitrairement déclaré la Révélation close.»
Orthodoxy, Genève, 1960, p. 40.
V. Vedernikov, «Le problème de la tradition dans la théologie orthodoxe», dans la revue journal Moscovskoi Patriarhii, n° 10, 1960, p. 40; voir saint Basile de Césarée, Sur l’Esprit Saint, chapitre 25.
Commonitorium Patrum, P.L., 50, col. 668.
Dans la revue Contacts, n° 48, 1964, p. 261.
Discours à la défense des saintes icônes; P.G., 100, col. 600.
Ibidem, col. 661 B.
Saint Cyrille d’Alexandrie, L'Explication de l’Évangile selon saint Jean, livre V, chapitre 8, 35; P,G., 73, col. 864.
Saint Maxime le Confesseur, Amhigua; P.G., 91, col. 1120C 1221 B.
L’Explication de l’Évangile selon saint Jean, livre VII, chapitre 10, 20; P.G., 73, col. 9.
VI. Lossky, « Dogmaticeskoe Bogoslovie », dans Bogoslovskie Trudi Izdanie Moskovskot Patriarhii, 1972, pp. 131–133.
Saint Maxime le Confesseur, Deuxième Épître à ]ean le Cubtculaire, P.G., 91, col. 306 D: « Notre nature, se déchirant de cette manière, s’est fragmentée en beaucoup d’opinions et d’illusions. »
L'Explication de l’Évangile selon saint Jean, livre IV, chapitre 6, 70; P.G., 73, col. 629 A.
Vi. Lossky, op. cit., p. 136.
Op. cit., livre V, P.G., 73, col. 592.
Op. cit., livre XII, chapitre 20, 35; P.G., 74, col. 724 C.
L’Explication de l'Évangile selon saint Jean, livre IV, chap. 7, 8; P.G., 73, col. 644.
Op. cit., livre IX, chapitre 13, 32; P.G., 74, col. 153.
Op. cit., livre II, chapitre 1, 33; P.G., 73, col. 250D.
Op. cit., livre II, chapitre 6, 63; P.G., 73, col. 501.
Op. cit., livre IX, chapitre 14, 20; P.G., 74, col. 273.
Op. cit., livre XII, chapitre 20, 16 ; P.G., 74, col. 697 C.
Fragmenta in actis apostolorum, P.G., 74, col. 757.
Der Dreieine, Christians-Verlag, Stein am Rhein, 1970, p. 103.
Dieu se distingue du rien (néant) incomparablement davantage et plus définitivement que tout autre existence, parce qu’il n’est menacé dans Son existence par rien. Cependant, par Dieu, l’homme est appelé aussi à se distinguer totalement et définitivement du rien (néant). Dieu et l’homme, telles sont les deux réalités fondamentales définies par les dogmes. La deuxième, étant liée à la première, constitue avec elle un seul dogme. Dieu et l’homme sont definis comme dogmes fondamentaux parce qu’ils sont les existences fondamentales, à la fois évidentes et incompréhensibles. Évidentes, parce que sans elles rien n’a de sens, et pleines de mystère, parce que d’un contenu inépuisable. Dans l’existence de Dieu radicalement différente du rien, est donnée l’infinité de son existence. Dans Son rapport avec nous se trouve la possibilité de définir Son œuvre. Dans sa frontière radicale vis-à-vis du rien réside l’infinité de Son existence et l’impossibilité de la comprendre jamais pleinement. Et par le fait que nous aussi, nous recevons une frontière réelle et définitive par rapport au rien (néant), nous communions, nous aussi, à une existence infinie en développement et inépuisable en connaissance, dans une forme adéquate à l’humain.
Évagre le Moine, Traité de l’oraison, ch. 60; dans la Philocalie roumaine, vol. I, p. 81.
Sur la nature du Dieu incompréhensible, III, P.G., 48, col. 725.
Discours 20, 12·, P.G., 35, col. 1080.
Sur la vie de Moise·, P.G., 44, col. 373, 376.
Appels aux théologiens. Discours prononcé le 14 novembre 1973, à la Faculté de théologie de Tessalonique, dans Orthodoxes Typos, Athènes, 1er février 1974.
Le théologien T.M. Parker dit: «Le plus profond théologien n’a jamais pleinement sondé les profondeurs de la Révélation et tous, nous donnons notre vie pour croître lentement dans ce qui, au meilleur cas, est une connaissance incomplète de 13 foi. Nous acceptons la parole de Dieu comme un tout, parce quelle est la parole de Dieu qui ne peut nous tromper... Mais quelque grandes que soient notre culture et notre intelligence naturelle, nous restons incapables de recevoir dans nos intelligences étroites toutes les richesses de la foi» (cité dans le volume collectif qui contient le «Rapport au VI congrès anglo-catholique», p. 74).
Vl. Lossky, «Ocerk misticescoe bogoslovia Vostocinoi Tzerkvi», dans Bogoslovskie Trudi, Izdanie Moscovskoi Patriarhii, 1972, p. 26.
Idem, «Videnie Boga v vizantiscom bogoslovii», dans Bogoslovskie Trudi, op. cit., p. 195.